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Arts-chipels.fr

Psychoses, l'expressionnisme dans l'art et le cinéma : aux confins du réel et du fantastique.

Nosferatu le vampire, Friedrich Wilhelm Murnau (1922)

Nosferatu le vampire, Friedrich Wilhelm Murnau (1922)

Au Musée de Lodève (Hérault), jusqu'au 15 septembre, l’expressionnisme allemand s’expose, dans un dialogue entre peinture, arts graphiques et cinéma. Il faut se laisser glisser dans cet univers, organisé en thèmes et non par chronologie, comme on entre dans un mauvais rêve. Voici quelques jalons de ce parcours original et pluridisciplinaire. 

Un monde tordu

Ancêtres des films d’horreur, une douzaine d’œuvres fantastiques du cinéma muet hantent les murs du musée. Tableaux et sculptures, dont une majorité de gravures et de dessins en noir et blanc, accompagnent les extraits de ces classiques. On y retrouve, au fil des salles, le même langage formel : décors aux lignes fuyantes, perspectives basculantes, contours coupants, contrastes volontairement excessifs entre lumière et obscurité, personnages aux physionomies disharmonieuses et à la gestuelle exagérée. Les expressionnistes mettent ainsi à distance la sombre réalité, en ce début du XXe siècle : la misère des villes avec l’exode rural, et la guerre qui menace. Ce que les arts visuels avaient inventé avant « la Der des Ders » est porté à son incandescence par les innovations techniques du cinématographe d’après-guerre, telles que les fondus-enchaînés et les superpositions. Quatre plans coexistent dans le Mystère d’une âme de G.W. Pabst : effet de cauchemar garanti comme dans le montage serré de Metropolis (Fritz Lang), dystopie urbaine sur la société de classes et de la machine-humaine – aux colonnes de travailleurs défilant vers l’usine de la cité géante, répond l’Orateur (ou le Conférencier, Der Redner), un tableau d’Arthur Segal, l’une des rares notes de couleur de l’exposition — où un homme de dos harangue une foule compacte de corps anonymes.

1/ Metropolis, Fritz Lang (1927)  2/ L’Orateur (ou le Conférencier) – Der Redner, Arthur Segal (1912), Kunsthalle, Emden © DR
1/ Metropolis, Fritz Lang (1927)  2/ L’Orateur (ou le Conférencier) – Der Redner, Arthur Segal (1912), Kunsthalle, Emden © DR

1/ Metropolis, Fritz Lang (1927) 2/ L’Orateur (ou le Conférencier) – Der Redner, Arthur Segal (1912), Kunsthalle, Emden © DR

Jusqu’au cauchemar

Faisant référence au film d’Alfred Hitchcock, le titre de l’exposition renvoie à la psyché troublée véhiculée par ces œuvres. Reflet de la crise qui frappe l’Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’art se frotte à la même époque aux prémisses de la psychanalyse et se nourrit de l’approche freudienne des névroses et des traumas.

« Et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. » L’intertitre le plus célèbre de l’histoire du 7e art est la traduction française poétisée d’un texte plus banal en allemand, tiré de Nosferatu le vampire. Pour les surréalistes, fans de ce cinéma, cette phrase marquait le passage d’un monde à l’autre, de l’état de conscience vers celui du rêve.

Sur les nerfs (Nerven), film de Robert Reinert, décrit, avec force gros plans sur des visages grimaçants, les séquelles psychologiques de la guerre chez trois protagonistes issus de différentes classes sociales : du patron d'usine, figure du capitalisme, à ceux qui appellent à des réformes sociales voire à une révolution armée. 

Quant aux faces fantomatiques des Sans emploi de Käthe Kollwitz, ne sont-elles pas aussi impressionnantes que la figure de Nosferatu ? Peu connu, l’Autoportrait avec une muse d’Otto Dix, pour sa part, montre le peintre dévoilant une femme au faciès monstrueux... 

Sans emploi, Käthe Kollwitz © DR

Sans emploi, Käthe Kollwitz © DR

La mort aux trousses

Le masque de la mort se plaque sur le visage des femmes que rencontre le héros du film de Karlheinz Martin, De l’aube à minuit, (1920), adapté d’une pièce de Georg Kaiser (1912). On assiste à la tragédie d’un employé de banque qui, confronté à l’inégalité entre les riches pleins aux as et les pauvres sans le sou, dérobe la caisse. S’ensuit une longue journée où, de péripéties en péripéties, le fugitif ne pourra ni retourner à son ancienne vie ni s'adapter à une existence de nanti. Le décorateur Robert Neppach rehausse tous les éléments scéniques de traits blancs anguleux, déformant murs, portes, fenêtres, tables, chaises, lampadaires... jusqu’aux costumes et aux visages des acteurs qui se présentent de travers, soulignés de peinture noire et blanche. Traduction de la perception perturbée du protagoniste. Les douze coups de minuit marquent sa fin délirante... En regard de cette réalisation étonnante sont accrochées huit lithographies de Bernhard Kretzschmar, réalisées la même année que la sortie du film, projeté ici in extenso. Ces constantes juxtapositions sont la marque de ce parcours onirique dans un passé bouleversé où la vision des artistes s’est malheureusement révélée prophétique de plus grandes horreurs. Au spectateur d’en tirer les leçons à un siècle de distance.

De l’aube à minuit, Karlheinz Martin (1920)

De l’aube à minuit, Karlheinz Martin (1920)

Un musée qui vaut le détour

Ne manquez pas cette exposition riche en découvertes, comme toutes celles que présente temporairement ce musée national d’art moderne. Et si vous passez dans la région plus tard, une visite s’impose aux collections permanentes, consacrées à l’archéologie, à la paléontologie et aux sciences naturelles. Situé dans l’ancien hôtel particulier du cardinal Hercule de Fleury, agrandi et rénové depuis 2018, ce lieu est incontournable pour les amoureux de la Planète. Une muséographie originale et interactive met la complexe histoire de la Terre et de l’Homme à la portée de tous. La remarquable section Traces du vivant s’articule autour des vestiges découverts dans la région de Lodève. Les environs offrent en effet une illustration condensée des quatre ères géologiques : de – 540 millions à – 2 millions d’années et on observe, à partir de cette ville située au pied des Causses du Larzac, les allées et venues de la mer, la formation des continents, la surrection et l’érosion des montagnes, les changements climatiques, l’apparition et la disparition des espèces… Une traversée du temps qui met l’histoire humaine en perspective…

Traces du vivant, salle du Temps. Musée de Lodève © Vincent Fillon

Traces du vivant, salle du Temps. Musée de Lodève © Vincent Fillon

Psychoses, l'expressionnisme dans l'art et le cinéma
Sculptures, peintures et arts graphiques
En collaboration avec la Fondation Murnau, Institut d'Echanges Culturels, les musées sélectionnés et des prêteurs privés.
Musée de Lodève, square Georges Auric, Lodève (Hérault). T. :04 67 88 86 10
www.museedelodeve.fr ouvert tous les jours, sauf le lundi.

Œuvres de Max Beckmann, Rudolf Belling, Rüdiger Berlit, Heinrich Maria Davringhausen, Walter Dexel, Otto Dix, Erich Drechsler, Lyonel Feininger, Conrad Felixmüller, Lis Goebel, Arthur Goetz, Erich Heckel, Ludwig von Hofmann, Franz M. Jansen, Alexej von Jawlensky, Alexander Kanoldt, Käthe Kollwitz, Bernhard Kretzschmar, Wilhelm Lachnit, Fritz Lang, Otto Lange, Ernst Lubitsch, Paula Modersohn-Becker, August Macke, Karlheinz Martin, Franz Marc, Frans Masereel, Ludwig Meidner, Moritz Melzer, Wilhelm Morgner, Friedrich Wilhelm Murnau, Heinrich Nauen, Emil Nolde, G. W. Pabst, Max Pechstein, Robert Reinert, Lotte Reiniger, Christian Rohlfs, Josef Scharl, Martel Schwichtenberg, Arthur Segal, Arnold Topp, Paul Wegener, Robert Wiene. 

Le Cabinet du Dr Caligari © Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung Wiesbaden

Le Cabinet du Dr Caligari © Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung Wiesbaden

Images fixes et extraits de films
Le Cabinet du docteur Caligari (Das Cabinet des Dr. Caligari, 1920) de Robert Wiene
Le Golem (Der Golem, wie er in die Welt kam, 1920) de Paul Wegener
Les Nerfs (Nerven, 1919) de Robert Reinert
De l'aube à minuit (Von Morgens bis Mitternachts, 1920) de Karlheinz Martin
Sumurun (1920) d'Ernst Lubitsch
Docteur Mabuse le joueur (Dr. Mabuse, der Spieler, 1922) de Fritz Lang
Nosferatu le vampire (Nosferatu. Eine Symphonie des Grauens, 1922) de Friedrich Wilhelm Murnau
Les Aventures du prince Ahmed (Die Abenteuer des Prinzen Achmed, 1926) de Lotte Reiniger
Le Dernier des hommes (Der letzte Mann, 1924) de Friedrich Wilhelm Murnau
Les Mystères d'une âme (Geheimnisse einer Seele, 1926) de G. W. Pabst
Metropolis (1927) de Fritz Lang

Autoportrait avec une muse, Otto Dix (1924).Hagen, Karl Ernst Osthaus Museum © DR

Autoportrait avec une muse, Otto Dix (1924).Hagen, Karl Ernst Osthaus Museum © DR

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