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Arts-chipels.fr

Du rêve que fut ma vie. Camille Claudel en toutes lettres.

© Vincent Muteau

© Vincent Muteau

À partir des lettres écrites par Camille Claudel au fil de son existence et jusqu’à sa fin tragique, Camille Trouvé et Brice Berthoud tracent le portrait en creux de l’artiste, dans un théâtre d’ombres et de papier d’une beauté évanescente.

Petits et grands papiers pour sculpter l’absence

Au son d’une contrebasse se déploie une feuille blanche grandeur humaine : manipulée par deux mains, elle prend la forme d’une enveloppe derrière laquelle surgit Camille Trouvé. Elle en sort des papiers de divers formats : « Lettres, courriers, missives, petits mots, télégrammes, dépêches, plis, billets [...] Ce sont en majorité des lettres émanant de Camille Claudel. Nous n’avons retrouvé que peu de courrier lui étant destiné [...] »

La jeune sculptrice s’enthousiasme pour son art dans des lettres à une amie, écrit au ministre des Beaux-Arts pour obtenir du marbre, déclare sa flamme à Auguste Rodin, exprime son mécontentement à un galeriste... Les étapes d’une vie de femme et d’artiste, datées et dûment conservées dans diverses archives.

Plus tard, la marionnettiste façonne avec du papier de soie les membres d’un homme absent et se love, nue, au creux de cette figure éphémère, dans un froissement voluptueux. C’est Rodin à qui elle écrit : « Je couche toute nue pour me faire croire que vous êtes là mais quand je me réveille, ce n’est plus la même chose. [...] Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente. » Elle a eu avec lui une liaison ravageuse comme en témoignent des lettres enflammées du maître : « Ma terne existence a flambé comme un feu de joie [...] devant ton beau corps que j’étreins [...] ».

Mais de revers professionnels en chagrins d’amour, les gestes de la comédienne se font rageurs. Elle déchire, plie, met en boule, mâche ces bouts de papier. Jusqu’à découper dans le sol un géant de carton et l’accrocher en effigie : figure du patriarcat qui ne lui a pas laissé sa place d’artiste et l’a condamnée à la folie. Elle finit ensevelie sous un amas de missives désespérées, retrouvées à l’asile psychiatrique de Montdevergues, dans le Vaucluse, où elle vécut pendant trente ans, jusqu’à sa mort en 1943, abandonnée de tous, comme le disent ses lettres à son frère Paul et au docteur Michaux, psychiatre

© Vincent Muteau

© Vincent Muteau

Lanterne magique

Dans cette scénographie de papier, la lumière donne du relief au récit épistolaire et cadre les fragments successifs. Un projecteur sur pied et de petites lampes mobiles découpent des espaces de jeu. Sur ces pages blanches, le corps de Camille Trouvé s’inscrit en ombre chinoise ; une ampoule subtilement placée et la feuille vierge devient une lanterne magique où le visage et les mains de l’artiste apparaissent en gros plan. L’histoire s’inscrit d’abord noir sur blanc, le corps souple et tonique de l’interprète moulé dans un costume sombre : Camille, en pleine lumière, s’élance dans la vie d’artiste. Puis le blanc domine, Camille gagne en rondeur, virevolte épanouie dans une robe blanche et fluide, qu’elle déchirera bientôt, symbole de son naufrage, sous des éclairages plus sourds. La fée électricité sculpte à merveille la mise en scène de Brice Berthoud. 

Dialogue musical

Pour accompagner les calligraphies dessinées par le corps de l’interprète, Fanny Lasfargues a composé, pour la contrebasse, une partition ouverte à l’improvisation, complétée par un traitement électronique qui lui donne une mobilité sur le plateau. Elle joue en alternance avec le jazzman multi-instrumentiste Raphael Schwab.

La contrebasse sculpte le son au fil des séquences. En réponse à l’ironie mordante sous la plume acérée de Camille, la musique se fait désinvolte, complice de la révolte et de la fougue de la jeune femme. Elle intervient en contrepoint complice dans les scènes érotiques ou les accès de colère de l’artiste en lutte pour sa liberté de vivre et de créer. Puis des battements percussifs lugubres prédisent la descente aux enfers de l’artiste et rythment ses appels au secours du fond de son asile prison. Le musicien (ou la musicienne) marque aussi verbalement sa désapprobation envers les destinataires de des épitres de l’artiste, restés aux abonnés absents.

© Vincent Muteau

© Vincent Muteau

Le temps remettra tout en place

« Du rêve que fut ma vie, ceci est le cauchemar », écrit Camille en 1935 à Eugène Blot, son éditeur, marchand et ami. Trois ans plus tôt, ce dernier lui adressait ces mots : « Avec vous, on allait quitter le monde des fausses apparences pour celui de la pensée. Quel génie ! Le mot n’est pas trop fort. Comment avez-vous pu nous priver de tant de beauté ? [...] Le temps remettra tout en place ».

C’est à quoi s’emploient les Anges au plafond. Après Les Mains de Camille, qui explore l’enfance de l’artiste, les liens avec sa famille et ses contemporains, la compagnie feuillette pour nous les instantanés de cette vie extraordinaire. Nous entrons avec délicatesse dans l’intimité de cette femme, artiste, muse et rebelle, et la beauté du spectacle rend justice à celle de l’artiste et de son œuvre.

Du rêve que fut ma vie, une histoire de Camille Trouvé et Brice Berthoud

Jeu et manipulation Camille Trouvé Mise en scène et scénographie Brice Berthoud assisté de Jonas Coutancier Musique originale Fanny Lafargues avec la précieuse collaboration de Saskia Berthod Création lumière Brice Berthoud / Marina Cousseau Création costume Séverine Thiebault Aide à la construction Magali Rousseau  Régie et jeu de lumière Marina Cousseau Production CDN de Normandie-Rouen - Les Anges au Plafond Coproduction Équinoxe Scène nationale de Châteauroux Soutien Quinconces, l’Espal, Scène nationale du Mans Durée 55 min

Du 28 mai au 15 juin 2024, mar., mer., ven. à 20h, jeu. à 19h, sam. à 16h
Théâtre 14 - 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris
Rés. : theatre14.fr / 01.45.45.49.77 / billetterie@theatre14.fr

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