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Arts-chipels.fr

Les Possédés d’Illfurth. Histoires d’emprise et de résilience.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Un beau texte, servi par un comédien inspiré, suffisent à faire de ce spectacle qui part d’un fait divers du passé, somme toute relativement banal, un message pour le présent et un très bel hommage au théâtre.

C’est sur un plateau entièrement nu, par la force du verbe et du jeu, que les Possédés d’Illfurth trouve son espace. Un conte, un récit porté par un roi de pacotille qui s’annonce à grand renfort de tambourin, drapé dans sa cape, une couronne de carton sur la tête. Un comédien, assez cocasse, tout en ruptures de styles, de tons et de rythmes qui vient interpeller les spectateurs en leur parlant d’infiniment grand et d’infiniment petit, avec nous au milieu, et de temps en milliards d’années qui, d’une certaine manière, ne fait pas grand-chose à l’affaire. On comprendra vite qu’entre hier et aujourd’hui des passerelles sont jetées.

Une affaire de possession comme point de départ

Le comédien, Lionel Lingelser, est originaire d’un petit village d’Alsace – on imagine les cigognes qui vont avec, et les accents savoureux des personnages, qui animeront ce petit théâtre – où s’est déroulée l’une de ces innombrables affaires qu’on pourrait récolter dans tous les coins de France : en 1864, deux jeunes enfants ont été pris d’une étrange maladie à la fois mutique et convulsionnaire. Pour chasser le diable qui était en eux, point d’autre solution préconisée que de pratiquer un exorcisme en les enfermant, bien ficelés, dans l’église plusieurs jours durant et en les arrosant d’eau bénite assortie de prières ad hoc. La Vierge, providentielle, vient alors à la rescousse pour les tirer de là. Reste, pour Lionel Lingelser, des questions sur le mal dont souffraient réellement ces deux jeunes garçons et sur les interprétations possibles, liées aux croyances, de ces cas de « possession ».

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Du comédien à l’auteur et de l’auteur au comédien

Lionel Lingelser et Yann Verburgh forment alors le désir de travailler ensemble. Leur envie s’enracine dans le projet de faire de ce fait divers le point de départ d’un spectacle qui mêlera l’aventure des deux enfants à l’appétence de l’auteur pour les contes et pour les histoires vécues, et à la personnalité du comédien, à cheval entre son enfance et son choix de devenir acteur. C’est ainsi qu’ils recycleront, sur le mode parodique, l’expérience de l’acteur dans les Fourberies de Scapin en imaginant un comédien plein de doutes malmené par son metteur en scène, qui interroge, à travers son mal-être, un traumatisme qui remonte à l’enfance. L’auteur, de son côté, retrouvera ses chevaux de bataille sur la construction identitaire face au genre et sur le harcèlement. 

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Une insolence de rigueur, un humour salutaire

C’est dans la trame tissée entre ces deux histoires que s’inscrit ce spectacle aux allures de voyage initiatique. Car chercher des réponses aux questions suscitées par le fait divers reviendra pour l’homme du présent, le comédien quarantenaire qui est sur scène, à s’interroger sur les raisons pour lesquelles il a fait du théâtre et est devenu ce qu’il est aujourd’hui.

La drôlerie est au rendez-vous de la galerie de personnages qui surgissent sous l’énergie conjuguée des deux compères. Au metteur en scène extravagant dans sa grandiloquence répondent les figures hautes en couleurs de l’instituteur et du curé qui, avec les meilleures intentions du monde, traquent sans pitié toute différence, toute déviance par rapport à la « norme », et celles, ridiculisées, des parents, incapables de comprendre. Lionel Lingelser passe d’un personnage à l’autre, d’un accent à l’autre, d’un timbre à l’autre avec une aisance confondante. Il émaille en même temps sa manière de camper les personnages de mimiques largement critiques qui en raillent les propos. Il saute, virevolte, parcourt la scène, mime son personnage masqué et son tortionnaire-metteur en scène avec une énergie débordante, à rythme endiablé qui ne dépare pas avec la diablerie qui sert de point de départ, où réalité et fantasme forment une pelote indémêlable.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Une diablerie qui masque d’autres diables

Se dessine en creux, derrière le rire de façade, des aspects plus sombres et dramatiques qui se dévoilent peu à peu : le harcèlement subi par les enfants du XIXe siècle et celui qu’a essuyé le jeune garçon devenu acteur à l'âge adulte, traqués pour leur différence qui dérange et fait peur. Une mise au ban du groupe auquel ils appartiennent, qui part de l’incompréhension et du refus de chercher ce qui la motive. Face à elle, il y a leur solitude, leur impossibilité de dire d’indicible. Un monde de terreurs où se cachent aussi, au-delà du harcèlement, les abus sexuels qu’on porte en soi sans pouvoir les avouer à quiconque. Un gouvernement de la terreur installé dans le silence, qui crée chez les spectateurs un moment d’émotion perceptible.

Mais le spectacle n’en reste pas à ce constat tragique. Il parle de résilience. Elle passe par le théâtre à qui est rendu un merveilleux hommage, même si l’on aurait souhaité plus de concision dans les parties non écrites. Elle passe aussi par le dire, par le sortir de soi comme un travail de deuil nécessaire. La leçon donnée par ces « possédés » va dans les deux sens. Il revient au possédé de se déprendre comme il revient à celui qui s’empare de cette possession de s’en détacher. C’est à ce prix que la paix peut régner. Une leçon qui déborde très largement le cadre d’un petit village alsacien…

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Les Possédés d'Illfurth

S Une création originale du Munstrum Théâtre S Mise en scène et interprétation Lionel Lingelser S Texte Yann Verburgh en collaboration avec Lionel Lingelser S Collaboration artistique Louis Arene S Création lumière Victor Arancio S Création sonore Claudius Pan S Régie (en alternance) Ludovic Enderlen, Victor Arancio, Valentin Paul S Administration, production Clémence Huckel, Noé Tijou (Les Indépendances) S Diffusion Florence Bourgeon S Production Munstrum Théâtre S Coproduction La Filature – Scène nationale de Mulhouse et Scènes de rue – festival des Arts de la rue S Avec le soutien de la Ville de Mulhouse et de la Collectivité européenne d’Alsace S Le Munstrum Théâtre est associé à la Filature – Scène nationale de Mulhouse ainsi qu’aux projets du Théâtre Public de Montreuil – Centre dramatique national, du TJP-CDN Strasbourg-Grand Est et des Célestins – Théâtre de Lyon S La compagnie est conventionnée par la DRAC Grand Est et la Région Grand Est. Elle est soutenue par la Ville de Mulhouse S Création en janvier 2021 au Festival MOMIX avec La Filature - Scène Nationale de Mulhouse S Texte publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs S Durée 1h30

14 mai — 1er juin 2024 Du mardi au vendredi, 19h30, samedi, 18h30 (sf dim. & lun.)

Théâtre du Rond-Point – 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris

www.theatredurondpoint.fr

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