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Arts-chipels.fr

Partie. Quand Gavroche s’en va-t’en guerre…

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

À l’heure où les guerres prennent une importance croissante dans notre environnement, ce spectacle qui s’enracine dans les paroles de poilus trouve le ton juste, dans une forme de théâtre participatif, pour nous présenter l’histoire de ceux qui furent broyés par la Première Guerre mondiale.

À l’entrée dans la salle, un assemblage de feuillets rigides de différentes couleurs est distribué au public. Un certain nombre de phrases, variables selon les couleurs, y sont imprimées. Elles constitueront le texte des Monsieur et Madame Tout-le-monde qui interviendront au fil du spectacle, une vox populi qui incarnera tour à tour les voix des appelés de cette « drôle de guerre » enterrés dans les tranchées, celles de leur familles et celle de l’opinion publique ballotée au gré des informations fallacieuses et de la propagande gouvernementale. Sur le plateau, côté jardin, une longue table à tréteaux recouverte de toutes sortes d’objets insolites assortis de micros occupe la scène. Côté cour, c’est un tableau de bois dont les panneaux coulisseront ou se rabattront pour intimer aux spectateurs d’avoir à intervenir, selon la couleur de leurs feuillets, en leur donnant la tonalité de leur intervention. Les règles du jeu sont données dès le départ : le public devra se conformer aux indications qui lui seront données en cours de spectacle grâce au tableau. La pièce peut commencer.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

L’histoire d’un tout jeune homme happé par la guerre

Ça débuterait presque comme une chanson populaire. Louis est un brave petit gars, un crieur des rues qui vend du mouron, pas celui qui fait peine mais celui qui nourrit les oiseaux. Sa vie, c’est pas terrible, mais c’est sa vie. Alors, le jour où on lui dit qu’il doit partir à la guerre, c’est pas que ça lui plaise mais bon, il y va sans rechigner, d’autant que les filles, avec qui il a des difficultés, lui font des sourires en agitant leurs drapeaux. Le voilà parti la fleur au fusil pour une guerre qu’on lui annonce courte, innocent pris au piège d’une mécanique infernale qu’il ne connaît pas encore. La suite, on l’apprendra par les lettres qu’il envoie à sa mère. Derrière lui, en fond de scène, un tableau monté sur rouleaux dévide, non le continuum d’une toile peinte qui planterait le décor mais, à la manière d’une distanciation brechtienne, les épisodes qui marquent sa vie. 

Une correspondance pour lire entre les lignes

À travers les lettres du petit Louis se dessine l’atmosphère de l’époque. Ses préoccupations, elles échappent à la vie politique. Il n’a pas d’opinion, il ne comprend pas ce qui se passe et pourquoi le conflit. Ses soucis : réclamer à sa mère un pull et des chaussettes pour lutter contre le froid. Ils prendront au fil des lettres un tour plus noir, avec les copains de galère, leurs histoires sanglantes, les hommes en miettes, les traumatismes, l’incompréhension. L’ensevelissement dans les tranchées, les obus qui éclatent, la boue, la peur, l’attente, le froid, la faim rythment ces lettres que la vertu du théâtre fait échapper à la censure. Elles racontent une autre histoire de la Première Guerre mondiale, qu’on ne trouve pas dans les manuels. Il n’y a pas de héros dans cette histoire-là, pas de faits d’armes valeureux, pas d’ennemis chargés de toutes les tares, juste des hommes qui tentent de survivre et dont certains trouveront la mort pour s’être insurgés d’être considérés comme chair à canon.

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

Des sources diversifiées

Le voile s’est levé ces dernières années sur la réalité de la « Grande » Guerre. La pièce de Tamara Al-Saadi s’inspire de tous les documents d’archives qui existent aujourd’hui, des affiches, des photographies, des films, des documents audio ou visuels. Elle reprend à son compte les nombreux récits de poilus qui ont fini par émerger au grand jour, les correspondances échangées qui prennent le contrepied des discours officiels. Elle cherche à en saisir la saveur amère, tel le témoignage de ce violoncelliste, Maurice Maréchal dont le journal intime accorde au son une place particulière que la pièce reflète. De la somme de ces histoires accumulées, elle tire un monologue où affleure une poésie tragique faite de salade de pommes de terre dont on rêve, d’oiseaux qui manquent dans le ciel, qui se mélangent aux visions de rats bien gras, de corps déchiquetés que la terre vomit, boyaux à l’air, de sang qui éclabousse et reste dans les yeux tandis que s'installe l’insupportable blessure du silence qui précède l’enfer.

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

Un traitement décalé

Ce qui fait l’originalité du propos est son traitement. Des quatre actrices qui sont sur scène, seule l’une joue, et parle. Elle est le petit Louis qui rassemble et synthétise toutes ces paroles de poilus. Iel en revêtira la tenue, avec ses bandes molletières et son casque. Accessoiristes actives, les trois autres fabriquent à vue le théâtre, chacune à sa manière. Outre celle qui déroule ses titres en fond de scène et la cheffe d’orchestre qui dirige son public à coups de panneaux, une bruiteuse évoque à sa manière les épisodes du récit. Il lui suffit d’une balle de tennis pour éplucher des légumes ou de craquements de papier pour créer un feu. Pour évoquer les scènes de bataille, un sac de terre déversée dans laquelle se débattent des soldats miniature qui peinent à se dégager suffit et une projection lumineuse qui les fait apparaître en ombres chinoises sur le tableau blanc du fond de scène donne à l’illusion un caractère de réalité apocalyptique tout en l’affirmant comme une illusion.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Le public, un personnage à part entière du spectacle

Parfois s’ajoute un décalage intentionnel. Lorsque la bruiteuse produit un son d’aspirateur au lieu du balai que Louis manipule, elle introduit un anachronisme délibéré. Il crée une connivence avec le public dont la participation est par ailleurs sollicitée pour les effets de foule, qu’il s’agisse de camper l’envie vengeresse d’en découdre ou de dépeindre les gémissements des blessés dans les zones de combats. La médiatisation permanente que propose le spectacle, intégrant les spectateurs au sein du dispositif théâtral, crée un intéressant jeu du dedans et du dehors entre la fable et ceux qui la reçoivent. On n’en dira cependant pas pour autant : « Dieu, que la guerre est jolie ! ». Parce que le jeu a un prix qui s’est chiffré en millions de vies humaines. Ce n’est pas parce qu’on sait que l’hémoglobine n’est pas du sang qu’on ne mesure pas l’impact meurtrier et absurde de la guerre.

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

Phot. © Geoffrey Posada-Serguier

Partie

S Texte, mise en scène et scénographie Tamara Al Saadi S Avec Justine Bachelet, Eléonore Mallo, Tamara Al Saadi et Jennifer Montesantos S Création sonore Eléonore Mallo S Création lumière, conception technique et scénographie Jennifer Montesantos S Costumes Pétronille Salomé S Regard chorégraphique Sonia Al Khadir S Production Compagnie LA BASE S Coproduction SACD ; Festival d’Avignon ; Théâtre Dijon Bourgogne – CDN ; Le Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne ; L’Espace 1789 de Saint-Ouen, scène conventionnée ; Théâtre Joliette, scène conventionnée S Soutiens Département de Seine-Saint-Denis ; Le Théâtre de Rungis ; Le CENTQUATRE – Paris ; Théâtre de Suresnes Jean Vilar ; Théâtre Dunois, scène conventionnée S Commande du Festival d’Avignon 2022 et de la SACD dans le cadre de Vive le sujet ! S La compagnie est conventionnée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France S Durée 1h

TOURNÉE

2 au 6 avril 2024 – Théâtre Silvia Monfort, Paris (75)
22 au 24 mai 2024 – Festival Théâtre en mai du Théâtre Dijon Bourgogne – CDN / Jardin des Apothicaires (21)
1er au 4 juin 2024 – Théâtre Joliette de Marseille / Cour de la Vieille Charité (13)
12 et 13 juillet 2024 – Châteauvallon, scène nationale à Ollioules dans le cadre du Festival d’été de Châteauvallon

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