2 Décembre 2023
En plongeant dans la vie quotidienne de la famille Bach à travers le récit à la première personne d’Anna Magdalena, la pièce croise écriture musicale, condition féminine, vie quotidienne et destinée artistique du compositeur.
Dans un décor quasi inexistant – seuls quelques chaises et des tabourets de piano occupent un espace encadré par de petites lampes et des lampadaires – trônent, se faisant face, un clavecin et un piano. Si le piano sur scène est fort éloigné de ce qu’il était à l’époque de Bach, il atteste cependant de la bascule fondamentale qui apparaît au début du XVIIIe siècle entre le clavicorde – présent en fond de scène côté jardin – et le piano, qui passera dès 1709 par le piano-forte avant de prendre sa forme moderne. Quant au clavecin, attesté dans les écrits scientifiques dès le milieu du XVe siècle, il sera pratiquement abandonné à la fin du XVIIIe. Ainsi se trouvent réunis sur scène les instruments que Jean-Sébastien Bach a connus et dont il a pu jouer.
Le Petit livre d’Anna Magdalena : un témoignage de vie familiale
Le premier cahier de musique offert par le compositeur à Anna Magdalena est commencé en 1722. Bach, qui a trente-sept ans, vient d’épouser une jeune soprano, fille d’un trompettiste de l’orchestre de la cour de Saxe-Weissenfels à laquelle le compositeur est attaché. De ce cahier parcellairement conservé nous sont parvenues les Suites françaises pour clavecin. Le second, à peu près complet, compte une cinquantaine de morceaux – partitas, marches, polonaises, menuets, chorals, arias – du compositeur, ainsi que des règles de réalisation de la basse chiffrée destinées à l’ensemble de la famille. Ce petit livre, dont le manuscrit porte la date de 1725, deviendra comme l’équivalent musical d’un album photographique. Les fils du couple, Johan Christian, Carl Philipp Emanuel et Gottfried Heinrich l’utilisent pour leurs essais de composition. Jean-Sébastien Bach, pour sa part, y conserve des copies d’œuvres de musiciens de l’époque, tels le Rondeau des « Bergeries » de François Couperin ou un Menuet (BWW 114) pour le clavicorde de Christian Petzold ; s’y retrouveront aussi des chants transcrits par Anna Magdalena et une aria, d’un auteur inconnu, en l’honneur du tabac – quatre pièces présentées dans le spectacle.
Une Anna Magdalena démultipliée
La pièce trouve une part de son inspiration dans le film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Chronique d’Anna Magdalena Bach, sorti en 1968. On y retrouve le même dépouillement, la même volonté d’écarter tout romanesque pour se centrer sur la musique. La voix d’Anna Magdalena, ici présente sur scène et non en voix off comme dans le film, y apporte une vision intime de la vie des Bach à l’époque. Deux comédiennes d’âge différent renvoient, l’une à la jeune fille de vingt ans qu’épouse le compositeur, alors âgé de trente-six ans, l’autre la femme mûre qui vivra des grossesses à répétitions et aura treize enfants en moins de vingt ans dont sept meurent en bas âge. Toutes de noir vêtues, en costume moderne, elles rappellent l’ambiance rigoriste qui règne à Leipzig où le compositeur a été nommé Kantor de l’église luthérienne de Saint-Thomas. Dans la ville d’où l’opéra est banni, Anna Magdalena ne pourra plus chanter et deviendra copiste pour son époux, accusant chaque fois davantage la disparition de ses enfants. Agathe Mélinand, à qui l’on doit l’écriture et la mise en scène, dresse un portrait de femme habitée par la musique et par l’admiration de son époux, mais néanmoins lucide et résignée à se consacrer aux activités qui lui sont laissées, le jardinage, la copie des œuvres de son époux et le bonheur familial.
Une traversée de l’œuvre et de la vie du compositeur
La pièce évoque la carrière du compositeur et les vicissitudes qu’elle rencontre. Sa liberté, son aisance financière et l’estime dans laquelle le tient le prince de Köthen, vécues comme un âge d’or interrompu par le remariage du prince avec une femme peu sensible aux arts et le mépris avec lequel il est ensuite traité à Leipzig où il reste un deuxième choix taillable et corvéable à merci. Elle traverse aussi les musiques contenues dans les carnets d’Anna Magdalena. En même temps que les airs repris à d’autres, consignés dans les carnets, apparaissent des extraits des Partitas (1 et 3), des Suites françaises, du Clavier bien tempéré ou des Variations Goldberg – entre autres. Tantôt au clavicorde – qu’on aurait préféré plus proche du bord de scène en raison de sa sonorité assez ténue – qui était pour Bach un instrument d’enseignement et d’entraînement, tantôt au clavecin ou au piano, la musique apparaît à chaque pas, de la même manière qu’elle occupe l’espace scénique. L’originalité de ces citations musicales, en dehors de l’interprétation pleine de virtuosité et d’émotion de Béatrice Martin en particulier, tient au dialogue musical que le clavecin et le piano introduisent, s’accompagnant l’un l’autre ou se faisant l’interlocuteur l’un de l’autre au sein d’un même morceau pour engendrer un dialogue qui n’est pas sans rappeler le lien chant-contrechant, plain-chant et contrepoint. Ce qui, bien sûr, ne peut que nous ramener à Bach...
Le Petit livre d’Anna Magdalena Bach
S Spectacle construit à partir du Notenbüchlein für Anna Magdalena Bach (1725) de Jean-Sébastien Bach, Carl Philipp Emanuel Bach, François Couperin... S Et inspiré du film Chronique d’Anna Magdalena Bach de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (1968) S Écrit et réalisé par Agathe Mélinand S Avec Christine Brücher et Fabienne Rocaboy (jeu), Béatrice Martin(clavecin et clavicorde), Charles Lavaud (piano) S Lumières Michel Le Borgne S Son Morgan Conan-Guez S Création du 21 au 31 janvier 2020 à la MC2: Grenoble S Production Pel-Mel Groupe (Laurent Pelly - Agathe Mélinand) S Coproduction MC2: Grenoble, ThéâtredelaCité CDN Toulouse Occitanie S Répétitions Le Centquatre - Paris et la MC2: Grenoble S Avec le soutien de la Spedidam et de l’Adami S Le Pel-Mel Groupe est conventionné par le Ministère de la Culture S Durée 1h10
Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet – 2, square de l’Opéra-Louis Jouvet, 75009 Paris
Le 2 décembre 2023 à 16h & 20h, le 3 à 16h www.athenee-theatre.com