6 Décembre 2023
Quand la spéculation mathématique outrepasse des règles qu’on croyait inscrites pour l’éternité des temps, c’est fort de café. Quand ce travail de recherche mathématique de haut niveau est mis entre les mains d’une autrice pour en faire une présentation publique sur une scène de théâtre, la poésie est au rendez-vous. Jasmin Raissy et Pauline Ribat se sont prêtées à l’exercice.
Art et science sont souvent considérées comme sœurs ennemies ou, à tout le moins, complètement étrangères l’une à l’autre. Tel n’a pourtant pas toujours été le cas. L’artiste et le savant n’ont pas toujours été irréconciliables et Léonard de Vinci en est l’exemple emblématique. Jusqu’au XIXe siècle, savants et artistes se sont côtoyé et ont échangé dans les salons que tous fréquentaient. Et au jour d’aujourd’hui, certains principes mathématiques gouvernent des démarches d’écriture, comme au sein de l’Oulipo où le poète et mathématicien Jacques Roubaud, après la démonstration, avec Jean Bénabou, d’un théorème important de la théorie des catégories, s’intéresse à la contrainte en littérature et fonde, avec Paul Braffort, l’Atelier de littérature assistée par les mathématiques et l’ordinateur (Alamo, 1981). La compagnie Les sens des mots, dont on appréciera le jeu langagier, procède en sens inverse. Il ne s’agit plus d’utiliser l’esprit scientifique en l’appliquant à la littérature – et au théâtre – mais de partir de la recherche scientifique pour lui donner une forme littéraire, communicable. Ainsi naissent les « Binômes ».
La règle du jeu des « Binômes »
Créé en 2010, le principe des « binômes » a donné naissance à plus de cinquante créations. S’appuyant sur la volonté de communiquer la science en faisant partager le haut niveau de la recherche à un public large, il associe un ou une scientifique et une autrice ou un auteur de théâtre. La formule en est bien établie et associe vidéo, écriture et forme théâtrale. Dans un premier temps, il s’agit de provoquer la rencontre, durant 50 minutes, entre scientifiques et gens de théâtre. Leur rencontre, filmée, formera ensuite la première partie du spectacle (10 minutes). Ensuite, liberté est laissée à l’autrice ou à l’auteur, durant une période limitée, d’écrire un texte de 30 minutes, mis en lecture par trois artistes de la compagnie Les sens des mots. Les réactions, filmées en direct, de la ou du scientifique à la lecture du texte constitueront, en quelques minutes, la matière de la troisième partie. Un échange entre public, scientifique, auteur ou autrice et interprètes refermera la proposition.
Mathématiques et théâtre
Sur la cinquantaine de scientifiques ayant participé au jeu des binômes, seule une mathématicienne, considérée comme l’une des pionnières du développement des mathématiques financières, Nicole El Karoui, s’était prêtée à l’exercice. Pour combler ce manque, l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi, CNRS) a apporté son soutien au projet et Jasmin Raissy, professeure des universités à Bordeaux dont les thèmes de recherche, les systèmes dynamiques holomorphes, l’analyse complexe, la géométrie complexe et la théorie géométrique des fonctions sont hermétiques au commun des mortels, a accepté de se prêter à l’exercice. Bienvenue, donc, avec elle, dans l’ensemble des nombres complexes, ceux qu’on ne peut réduire, comme les racines carrées négatives, ceux qui s’inscrivent en faux avec des années d’apprentissage de base des mathématiques pour le tout un chacun. Sous la plume de Pauline Ribat, même si l’on ne comprend pas tout, ce qui ressort c’est ce pari mathématique de penser l’impossible et de jongler avec lui, traversé de tentatives et d’appréhensions de l’échec mais indélébilement nourri d’une passion, d’un désir, qui transcende les hésitations, les recherches qui conduisent à l’impasse, les remises en cause et la difficulté de reconnaissance. On passe par les farces potaches des blagues mathématiques du type « F et F’ sont dans un bateau. F tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste ? – F’ dérive », on s’intéresse aux cinquante nuances de bleu mais surtout, ce qui ressort, c’est cette quête au-delà des limites qui aborde aux rives de l’imaginaire. Quelque part sur le trajet des chiffres se trouve la poésie…
i = racine carrée d'imaginaire
S Conception Thibaut Rossigneux S Écrit par Pauline Ribat d’après sa rencontre avec Jasmin Raissy, Professeure à l’Université de Bordeaux, IUF (Insmi - CNRS) S Mise en scène Sandrine Lanno Avec Daniel Blanchard, Thibaut Rossigneux, Émilie Vandenameele S Création musicale à partir de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (direction Pierre Boulez) S Direction technique Raphaël Bertomeu S Vidéo et son Romain Kosellek, Benoît Griesbach, Noe Lamort de Gail, Pierre Linguanotto et Didier Baules S Production Compagnie Les sens des mots avec le soutien de l'Université Paul Valéry Montpellier 3, de l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions du CNRS, du GIP - Europe des Projets Architecturaux et Urbains, du CEA (Commissariat à l'Energie Atomique et aux Énergies Alternatives), de l'INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), de Télécom Paris, d'l3/CNRS, de Wavestone, de La chaire arts & sciences de l'École polytechnique, de l'École des Arts Décoratifs-PSL et la fondation Carasso, du centre SPIRAL et du département SHALL de l'IP-Paris, de la Scène de recherche - ENS Paris-Saclay , de la région Bourgogne Franche Comté et du conseil départemental du Doubs S En partenariat avec Avignon Université et ARTCENA, Centre National du cirque, de la rue et du théâtre S Remerciements Nathalie Verlomme, Benoît et Marie Laffont S Les textes des binômes #8 et #9 et #11 sont publiés aux Solitaires Intempestifs S Durée 1h10 S À partir de 12 ans
TOURNÉE
Mardi 7 novembre 2023, Un pied dans ta mémoire Théâtre de la Reine Blanche, Paris
Mardi 5 décembre 2023, i = racine carrée d'imaginaire Théâtre de la Reine Blanche, Paris
Mardi 27 février 2024, RENOVATION (Entretiens) Théâtre de la Reine Blanche, Paris
Mardi 12 mars 2024, Kenneth Apocalypse Théâtre de la Reine Blanche, Paris
Mercredi 14 mars 2024, Kenneth Apocalypse Cabaret des curiosités, Valenciennes
Jeudi 14 mars 2024, i = racine carrée d'imaginaire Institut Henri Poincaré, Paris dans le cadre du π Day
Mercredi 15 mai 2024, Kenneth Apocalypse ENS Paris Saclay