Skatepark – une envolée acrobatique aux rythmes des roulettes

On est dans un magnifique skatepark en bois clair. Des jeunes et moins jeunes s’entraînent sans se préoccuper des spectateurs et spectatrices qui arrivent doucement et s’installent. Petit à petit le rythme des intervenants s’accélère, les tous petits disparaissent remplacés par des plus grands et des plus aguerris, les figures se corsent et se compliquent. une guitare électrique arrive et la musique fuse.

Ce véritable skatepark a été conçu avec l’aide de Pierre Jambé à la scénographie, on y voit en fond de scène des grilles, et des tôles ondulées avec quelques tags et plusieurs rampes en bois. La danoise Mette Ingvartsen réunit ainsi trois danseurs, huit skateurs et deux rolleuses. Elle reconstitue dans ce spectacle une journée et une nuit de la vie d’un skatepark imaginaire un peu hors du temps mais quand même en occident, avec toute une partie du spectacle qui se passe la nuit avec des ambiances différentes, plus « underground » les interprètes ayant mis des masques plus ou moins provoquant.  

Mette Ingvartsen vit à Bruxelle et ce spectacle présenté du 9 au 14 mai 2023, à la Grand Halle de la Villette dans le cadre du Théâtre de Chaillot, hors les murs,  couve en elle depuis quatre ans, depuis qu’elle accompagnait ces enfants au skatepark. Elle regardait les figures et les mouvements des skateurs et imaginait et interprétait le rythme et les énergies. Un élément très fort et qu’elle a retransmis dans son spectacle c’est l’harmonie et la cohabitation de tous les groupes quels qu’ils soient sur cet espace limité qu’ils partagent tous. Et cette harmonie est bien présente tout le long du spectacle c’est d’ailleurs ce qui frappe. Une bienveillance, un respect de chacun, lorsque la vitesse s’accélère, les interprètes se croisent et s’évitent de plus en plus vite. C’est très speed, cela part dans tous les sens mais chacun fait attention aux autres même au détriment de sa performance. Belle leçon d’humanité et d’inclusion car les débutants sont traités comme les autres chacun ayant sa place.

Ce spectacle s'inscrit dans une nouvelle direction de son travail, une approche plus générale basée sur l'observation de mouvements qui existent déjà dans l'espace public (par exemple le skate) ou dans le monde (comme les mouvements migratoires) pour comprendre ce qu'ils expriment, ou ce dont ils sont l'expression. Elle travaille également avec des interprètes qui n'ont pas été formés en tant que danseurs, mais viennent d'autres horizons et d'âges différents. Comme dans ce spectacle, où se côtoient des jeunes débutants du skate, des plus aguerris et des danseurs hip hop qui ne pratiquent pas le skate. Un autre élément et le mélange des générations. Mette Ingvartsen dit de sa pièce que c’est un portrait de groupe de tous les interprètes. De même ce qui l’a intéressé c’était de travailler avec le chant, une activité qu’elle observait au skatepark à Bruxelles. Et la playlist du spectacle a été faite en collaboration de tous, chacun apportant cinq chansons ou morceaux de musique combinées et superposé parfois à la musique électronique.

Un point important du spectacle est le côté subversif de la culture autour du skateboard qui est lié à la rébellion et à l'intrusion dans des propriétés privées de  ses origines, où de jeunes patineurs (dont certains deviendront plus tard célèbres, voire légendaires) patinaient dans des piscines vides. jusqu'à l'arrivée de la police. Ainsi cet aspect du skateboard en tant que pratique anti-establishment, contre-culture, rébellion ou approche anarchiste de la propriété privée est bien mis en avant par toutes la partie « nuit » du spectacle.

Le skate est une pratique paradoxale et c’est ce qui émerge et interroge tout le long du spectacle. C'est un mode de vie, mais c'est aussi un sport olympique. C'est quelque chose que vous faites seul, mais également quelque chose que vous faites ensemble. Historiquement, c'est une discipline très masculine. Mais, en tant que chorégraphe féminine, ces questions lui importaient et ont également été considérées lors l’élaboration de cette pièce. Comment donner de l'espace et de la voix aux filles et aux femmes au sein d'un skatepark ? Pari réussi par la présence et les performances de deux rolleuses, chanteuses et acrobates ainsi que d’une jeune skateuse.

Ce spectacle est un moment à part, c’est de la danse, de la performance, de l’improvisation mais aussi du travail bien rodé. Les interprètes ne sont pas tous des danseurs, ni même pour certains des professionnels. On est cependant dans un univers ou la moindre erreur est fatale, dans un monde à part, où la bienveillance et le respect de chacun est le maître mot et cela fait du bien.

Distribution

Concept et chorégraphie Mette Ingvartsen
Création sonore Anne van de Star
Lumières Minna Tiikkainen
Scénographie Pierre Jambé/Antidote
Dramaturgie Bojana Cveji´c
Directeur technique Hans Meijer
Production Joey Ng
Management Ruth Collier
Avec Damien Delsaux, Manuel Faust, Aline Boas, Mary-Isabelle Laroche, Fouad Nefili, Julia Rubies, Thomas Bîrzan, Briek Neuckermans, Indreas Kifleyesus / Arthur Vannes, Camille Gecchele, Sam Gelis et dix skateurs locaux