28 Mars 2023
Entre comédie barrée et drame de la perte, cette pièce « sous influence » chemine entre les genres. Une variation sur le fou et le sage, la norme et la dérive, dans un décor déconnecté et fantasmatique, intéressante mais pas entièrement convaincante.
Sur un tapis de confettis aux couleurs vives, un décor singulier est posé. Dans un coin, un piano noyé sous les pastilles de couleur révèle qu’il n’a pas servi depuis un moment. Hormis un pliant qui sert de tabouret de piano, les meubles manquent dans cet intérieur où trône, luxe insolite, un lustre, vestige d’une opulence disparue. Dans cet espace dépourvu de murs, seul un cadre de fenêtre, plus dédié à héberger le cendrier qu’à s’ouvrir sur l’extérieur est en suspension dans les airs tandis que des volatiles fantaisistes accrochés à des cordes occupent l’espace. Un pigeon a trouvé refuge dans le couvercle du piano, une cigogne se balance dans les airs tandis qu’un canard prend son bain. On l’apprendra plus tard, la maison est au bout d’un chemin, située en pleine nature. Deux personnages entrent, passablement éméchés, elle surtout. Anna a une hache fichée sur le haut de la tête, Mathias un costume de chevalier moyenâgeux dont le casque a été bricolé à partir d’un seau.
Des allures de comédie déjantée
Tous deux reviennent du carnaval. Ils se balancent à la figure des morceaux de dialogues de films, ne reculent devant aucun calembour ni jeu de mots éculés, plus ou moins douteux. Il s’emmêle le parler dans des termes médicaux dont elle semble se faire une grande spécialité, elle confond les expressions. Il est question d’ocytocine, cette hormone de l’amour, de la confiance et du lien au milieu des citations d’À bout de souffle et de l’évocation de Gena Rowlands et de John Cassavetes dont elle peine à trouver le nom qu’elle écorche à loisir. Si la maison est vide, c’est qu’ils la quittent – la vente doit se signer le lendemain. On comprend que c’est une nécessité sans savoir pourquoi sinon qu’il réagit violemment quand il apprend qu’elle a invité les futurs nouveaux propriétaires à boire un verre le soir même. Ils vont mener, avec le couple qui arrive, lui déguisé, elle pas, un dialogue de la même eau dans lequel les homophonies offrent des quiproquos réjouissants et où faïence et finance sont mis sur le même plan. Ils parlent de Dieu et du « gang bang » qui est à l’origine de l’univers ou affichent un néo-ruralisme de pacotille qui voisine avec une madeleine qui a des allures de « cake du souvenir ».
De glissements en glissements
À son corps défendant, Mathias joue les hôtes avec une hostilité manifeste, prolongeant un peu plus l’allure de farce que revêtait le début. Mais peu à peu se dessine le paysage bien moins riant d’un couple en train de craquer. La fille de Mathias et Anna est morte dans un accident de voiture et on comprend qu’il ne peut plus supporter de vivre dans cette maison où plane son souvenir. Il a convaincu Anna de partir et elle s’est rendue à ses arguments – du moins en apparence. Face au couple qui leur fait face – chrétien, deux enfants, bien-pensant, jovial mais plutôt lourd, elle plus réservée – ils sont en porte-à-faux. Par petites touches, leur histoire se dévoile. Chacun à sa manière vit cette blessure inguérissable et on comprend que la raison d’Anna vacille. Entre éclairs de lucidité, de moins en moins réjouissants, et souvenirs obsessionnels qui tournent en boucle, on entre dans la névrose d’Anna. Elle contaminera progressivement toute la pièce et les relations entre les personnages.
La musique comme un relais et un contrepoint
Seule une batterie accompagne le déroulement du spectacle, parfois relayée par des bruits plus ou moins réalistes qui surgissent de l’extérieur, comme la rumeur du monde qui continue de tourner alentour. Les percussions dressent par endroits, dans des improvisations qui viennent émailler le spectacle, leur propre tableau, celui d’un monde qui explose sans le savoir. Elles accompagnent aussi l’évolution des situations. À voix basse, paradoxe pour une batterie, elles soutiennent et commentent, avec discrétion, l’action qui se déroule sur scène, et répondent à l’évolution du récit qu’elles accompagnent.
Une errance sur le thème de la normalité
Dans cette pièce qui bascule de la comédie apparente au drame, le suspense n’est pas vraiment au rendez-vous. On connaît, dès le début du spectacle, la mort de l’enfant et on détricote très vite les raisons qui motivent la vente de la maison. Ne reste que le lent glissement d’Anna vers la perte de ses repères. Dans ce décor de fin de partie, la fête est finie et le rideau n’a plus qu’à tomber. Il en restera l’impression d’un spectacle bien joué, qui sait appuyer sur les aberrations des conventions sociales, les grands et petits travers du conformisme, mais bancal dans son hésitation ou son renvoi dos à dos de la comédie sociétale et de la lutte entre raison et folie que mène Anna. Si l’on comprend bien que la « normalité » des personnages incarnés par les futurs nouveaux propriétaires peut être comprise comme une forme d’anormalité et qu’on peut tracer un chemin qui interroge la « folie » d’Anna à cette aune, il n’en demeure pas moins que la démonstration ne convainc pas complètement.
Une pièce sous influence
S Texte Martin Legros S Mise en scène Sophie Lebrun et Martin Legros S Interprétation Inès Camesella, Sophie Lebrun, Baptiste Legros, Martin Legros, Nicolas Tritschler S Assistanat à la mise en scène Loreleï Vauclin S Création son, musique live et régie générale Nicolas Tritschler S Création son, régie son Pierre Blin S Lumière Audrey Quesnel S Scénographie Antoine Giard S Construction du décor et conseils Ateliers de la Comédie de Caen, Salvatore Stara, Anatole Badiali, Thomas de Broissia et Antoine Giard S Costumes Loona Piquery S Piano Andjelka Zivkovic S Doublure en répétitions Louis Martin S Régie plateau Antoine Giard S Diffusion Fanny Landemaine S Administration et production Loreleï Vauclin, Noémie Cortebeeck S Remerciements Samuel Gallet, Chloé Giraud, Samuel Frin et Stéphanie Arsène, François Levalet, Olivier Lopez, Le Tapis Vert, Bonnaventure S Production La Cohue Coproductions La Comédie de Caen, Le Monfort – Paris, Le Rayon Vert – Scène conventionnée d’intérêt national – Art en territoire – Saint-Valéry-en-Caux, Le Tangram – Scène nationale Evreux Louviers Eure, Le Volcan – Scène nationale du Havre S Accueils en résidence La Comédie de Caen, Le Monfort – Paris, Le Rayon Vert – Scène conventionnée d’intérêt national – Art en territoire – Saint-Valéry-en-Caux, Le Tangram – Scène nationale Evreux Louviers Eure, La BIBI – Caen , La Cité Théâtre – Caen, La Renaissance – Mondeville, Le Tapis Vert – Lalacelle, Le Zeppelin – Lille S Avec le soutien de la DRAC Normandie, de la Région Normandie, du Conseil départemental du Calvados, de la Ville de Caen, de la Ville de Paris S La Cohue est conventionnée par le Ministère de la Culture - DRAC Normandie et par la Ville de Caen S Sophie Lebrun et Martin Legros sont artistes associés à La Comédie de Caen S Durée estimée 1h40
Du 21 au 31 mars 2023 à 20h30
Le Montfort – 106, rue Brancion, 75015 Paris www.lemonfort.fr