18 Mars 2023
Découvert à la Mostra de de Venise en 2021, ce documentaire sans en être tout à fait un chemine, dans la beauté somptueuse de ses images, à la frange du réel et de la fiction.
Sur les hauteurs de Lima, là où les « maisons » ne sont qu’un immense bidonville d’habitations de fortune, recouvertes de vieilles tôles et de matériaux hétéroclites, Jorge gagne la vie de sa petite famille avec son triporteur pétaradant de moto-taxi. Mais voici qu’un jour, le véhicule toussotant cesse de fonctionner. Pour Jorge, l’alternative, c’est de partir pour trouver du travail ailleurs, là où le mirage d’une vie débarrassée des soucis matériels le porte, vers ces mines d’or situées en haute montagne, à 5 300 mètres d’altitude, là où la neige embourbe les chemins, où règne le froid, là où rien ne pousse, là où seule la pierre a droit de cité. Il sera mineur, pour les autres, à la recherche d’un improbable filon qui le rendra riche.
Histoires de dénuement et de misères
Le documentaire nous fait pénétrer dans l’univers quotidien de cette famille qui survit à grand-peine, dans la précarité, à l’écart d’une certaine modernité et pour qui le moindre accroc dans son univers constitué à grand-peine prend les dimensions d’un drame. On suit le voyage de Jorge vers les hauteurs de la mine, découvrant au passage les habitants de ces villages perchés, installés au creux de vallées où l’on subsiste chichement. On pénètre peu à peu au cœur de ces montagnes, de ces paysages lunaires où rien ne pousse, où les routes ont des allures de pistes grossièrement tracées au flanc de perspectives vertigineuses et nues. On aboutit au cœur de ces villages miniers où les logements ne sont que de fortune, où les seules femmes qu’on y trouve sont des prostituées, où l’oubli dans l’alcool de ces sociétés d’hommes représente la seule évasion possible et où le rapport avec les familles restées là-bas, difficilement établi via le téléphone mobile, reste le seul lien, fragile, pour se raccrocher à quelque chose alors que craquent les valeurs qui les rattachent à leurs familles.
Un monde en noir
Filmé au plus près de l’aventure du personnage principal, dont le visage semble tout droit sorti de la statuaire inca avec son profil effilé et son nez aux narines épatées courbé en bec d’aigle, le documentaire est tourné en noir et blanc. Tourné en noir et blanc, le film expulse l’exotisme en même temps qu’il dépouille l’or de la fascination qu’exerce sa couleur. Réduit à l’état de métal, il n’est plus que l’objet d’une tractation où se perdent des vies. La gradation du blanc au noir décrit un monde en nuances de gris dans lesquelles ne brillent que les lumières de la ville nocturne qu’on contemple en contrebas, que la brume illuminée et factice des bars où l’on se saoule et que l’éclat des lampes frontales qui percent l’obscurité absolument noire de la mine. Le choix délibéré du noir et blanc, s’il accentue et dramatise l’image, révèle dans le même temps la sauvage beauté de ce monde perdu où la pierre, en éboulis ou en masse compacte, le dispute à un béton fatigué sur lequel règne, dérisoire, une statue de mineur triomphant, fièrement campé, la pelle en appui, une pépite à la main.
Le mirage de l’or
Dans cette course à l’or sans ruée, le métal absent est comme une obsession qui règle la vie de ces hommes partis à la recherche d’un eldorado qui ne s’acquiert qu’au prix du lent écrasement de la pierre sous une meule actionnée à pieds d’homme pour en dégager le métal précieux, au son périodique des bâtons de dynamite qui explosent pour ouvrir de nouvelles voies dans la pierre, sur des hauteurs où la raréfaction de l’oxygène engendre un mal chronique des montagnes. L’existence de ces mineurs, leur survie tient à la découverte du « bon » filon dans des galeries noires et périlleuses car ils sont, au mieux, payés à la quantité de métal qu’ils extraient, ou, dans bien des cas, seulement autorisés, au bout de trente jours de travail, à extraire pour leur compte autant de minerai qu’ils pourront le faire en guise de salaire.
Un monde de superstitions et de rituels
Là-haut remontent les superstitions, les croyances enfouies, l’omniprésence du maître des profondeurs de la terre, ce diable auquel on attribue le pouvoir de désigner les bons filons et auquel on sacrifie, à la manière des rites anciens, une part de sa subsistance quotidienne et parfois davantage, retrouvant l’usage des mannequins rituels et du sacrifice des créatures vivantes. Dans la quête de l’or, le mythe se mêle à la réalité et le carnaval, qui fait remonter les esprits des morts à la surface, escorte cette vision du monde où des esprits invisibles rôdent à la porte de ce lieu où il ne fait pas bon vivre et où le fantasme n’est pas séparable de la vie.
Naviguant dans cet entre-deux entre réel et imaginaire, le film n'est ni un plaidoyer militant ni un cri de révolte. Il ne s’intéresse aucunement à ceux qui manipulent ces hommes envoyés dans les pires conditions au cœur des montagnes hostiles, mais se fait l'écho de ce que vivent, de l'intérieur, les hommes qui y travaillent. Il offre de cette misère une image magnifiée et mythique dans laquelle le regard s’absorbe. Car la Mine du diable a aussi la beauté du diable.
La Mine du diable (titre original Mother Lode). Un film de Matteo Tortone 2021 | France, Italie, Suisse | 86 min | espagnol sous-titré français
Sortie en salles 19 avril 2023
S Réalisateur Matteo Tortone S Scénaristes Matteo Tortone, Mathieu Granier S Produit par Alexis Taillant & Nadège Labé - Wendigo Films (France), Margot Mecca - Malfé Film (Italie), Benjamin Poumey - C-Sides Productions (Suisse) S Cinématographie Patrick Tresch S.C.S Montage Enrico Giovannone S Ingénieur son et design sonore Jean-Baptiste Madry S Mixage Adrien Le Blond S Musique originale Ivan Pisino S Distribution Juste Doc