22 Février 2023
Vivre en accord avec soi-même et savoir se concentrer sont des tâches bien difficiles quand tout se presse dans sa tête. Petit manuel de savoir-vivre dans sa Ford intérieure à l’usage des pré-ados.
On le sait, la concentration est une difficulté majeure pour les enfants, et pour certains plus que pour d’autres. C’est la raison pour laquelle, au collège, en classe de 6e, Talia est invitée à faire du yoga. Et la première leçon, c’est d’apprendre à faire le vide dans sa tête, à ne penser à rien. Facile à dire quand il y en a une autre, Taliabis, qui vous galope dans le cerveau, qui est toujours en train de vous perturber, qui bavasse sans cesse. Et Taliabis, on ne la met pas dehors d’un claquement de doigts ou en décrétant, magiquement, le vide. Car elle joue l’incruste, elle vous obsède, elle vous prend la tête !
Un espace intime matérialisé sur scène
Lorsque l’histoire commence, Talia est seule en scène. Résonne en voix off la voix de l’experte bien-être qui invite les enfants à la méditation et rend Talia dubitative. Mais voici que derrière les parois qui forment le fond de scène, on sent comme un frémissement. Une agitation. C’est le cerveau de Talia qui commence à bouillir parce qu’il y a des choses qui remuent dans sa tête sans qu’elle puisse les arrêter et que si la théorie est aisée, l’art est difficile. Ça bouge de plus en plus. Bientôt on devine une silhouette qui se colle à la paroi translucide. À mesure que le temps avance, non seulement l’ombre s’incarne pour prendre forme humaine, mais en plus elle occupe le terrain de plus en plus manifestement, bavardant et noyant Talia sous sa logorrhée, avant de faire son apparition de chair et d’os dans le monde auparavant poreux mais infranchissable de Talia. Taliabis, l’alter-ego de Talia, son double inmaîtrisable, l’indisciplinée, celle qui ne fait pas ce qu’on lui demande, qui s’impose, s’insère, par toutes les possibilités offertes par le décor – transparences, fentes, destruction de cloisons – dans le monde de Talia…
Deux comédiennes pour un même personnage
Talia et Taliabis sont les deux faces du personnage de la jeune fille. D’un côté, il y a celle qui aimerait faire ce qu’on lui demande de faire, habillée lambda comme toutes les filles de son âge, qui a un rapport « normal » aux autres, qui écoute les consignes des profs et s’attache à les respecter. De l’autre, il y a l’insupportable autre-soi, bavarde et dissipée, volubile, agitée, toute en taches de couleurs, fantaisiste et créative, incapable de rester en place. Taliabis, c’est l’esprit qui s’évade dès qu’on ne se concentre plus sur ce que dit le professeur, la facétieuse qui aimerait bien faire autre chose que rester sagement assise et qui n’en peut plus d’attendre que ça se passe. Alors Talia s’énerve de plus en plus contre cette ingérence qui est là malgré elle et lui pourrit la vie. Elle trouvera, bien sûr, le chemin pour dompter cette autre elle-même dont elle ne peut se débarrasser.
Une fiction au croisement de l’enquête
Cette fable, dont elle avait l’idée, Faustine Noguès la construit à partir d’un travail réalisé avec des élèves de collège à Colombes. Elle plante sa tente dans le CDI et y ouvre un Bureau de la Pensée où collégiennes et collégiens ont la possibilité de s’épancher sur leur ressenti des différences entre le dedans et le dehors, sur ce qu’on ne dit jamais mais qui vous hante et demeure attaché comme un mauvais chancre sans qu’on puisse l’évacuer, sur les émotions inexprimées, les désirs réprimés, l’incompréhension des autres ou les difficultés à canaliser son esprit. Certains mêmes y exposent leurs stratégies d’évitement, leurs ressources pour résoudre le problème. Le spectacle croisera leurs témoignages avec les souvenirs d’enfance de l’autrice, confrontée à des difficultés analogues : une sensation de trop à gérer dans tous les sens et des tentations parfois contradictoires qui s’affrontent à un âge où différence et « normalité » acquièrent un relief particulier.
Le spectacle regarde le monde de Talia et son combat en partant de l’intérieur, à travers ses yeux, de manière subjective. Ses camarades, ses parents, ses profs, ses activités y deviennent des réminiscences sonores, passées au filtre de sa perception. Et la gestion du capharnaüm qui règne dans sa tête, loin d’être un recueil de « trucs » plaqués par une méthode, est d’abord dans le spectacle une plongée en soi qui invite à analyser, à comprendre, y compris ses comportements contradictoires, et à apprendre à vivre avec ce qu’on est. À ce moment-là, il est possible de se vider la tête de ce qui autrement, tourne sans fin. C’est aussi cela, grandir…
Moi c’est Talia (texte publié en février 2023 aux éditions L’Œil du Prince)
S Écriture et mise en scène Faustine Noguès S Avec Délia Espinat-Dief & Lia Khizioua Ibañez S Création sonore Colombine Jacquemont S Scénographie, costumes, collaboration artistique Alice Girardet S Création lumière Zoé Dada S Production déléguée Théâtre Paris-Villette S Coproductions Compagnie Madie Bergson, Théâtre de Corbeil-Essonnes – Grand Paris Sud, Espace Marcel Carné de Saint-Michel-sur-Orge S Soutiens Région Île-de-France, Festival Rumeurs Urbaines - compagnie Le Temps de Vivre, Chartreuse - CNES de Villeneuve-lès-Avignon, Bureau des Filles S Durée 50min S Dès 8 ans
Du 17 fév au 5 mars 2023
Théâtre Paris-Villette - 211 av Jean Jaurès Paris 19e
Rés. 01 40 03 72 23 www.theatre-paris-villette.fr