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Arts-chipels.fr

Poquelin II. Retrouver le sens de la farce et le rire libérateur.

© Kurt Van Der Elst

© Kurt Van Der Elst

Au moment où le ciel, obscurci par les pandémies et les guerres et par la perspective d’un avenir peu radieux, ne laisse plus passer le soleil qu’à grand-peine, cette révision franco-flamande de l’Avare et du Bourgeois gentilhomme offre la perspective salutaire d’une rédemption par le rire et la bonne humeur.

Aucun décor ne meuble le tréteau de bois autour duquel les spectateurs sont installés sur trois côtés, une simple scène surélevée fermée sur le quatrième côté par un rideau de velours et quelques sièges déglingués qu’on verra apparaître par la suite. Ils sont dans le public, les comédiens qui se demandent s’ils y vont ou pas avant de se décider à intervenir. Et ils ont une sacrée dégaine : petit short, vêtement en lambeaux ou presque, maillots rock’n’roll, collants portant l’inscription « Live [sick] me your body ». Avec leurs costumes de bric et de broc, on ne peut qu’apprécier sur le mode décalé un texte qui parle de « somptueux équipage dans lequel vous vous promenez. » Le reste sera à l’avenant et dans le même style. D’emblée, ils mettent la barre haut. Le jeu et seulement le jeu. On n’a rien pour se raccrocher sinon le texte, le ton sur lequel il est proféré et la gestuelle des acteurs.

© Kurt Van Der Elst

© Kurt Van Der Elst

Une histoire belge sans l’être

Il faut dire qu’en plus, on est très loin du parler pointu auquel nous sommes accoutumés dans notre belle langue française. Les comédiennes et comédiens viennent d’Anvers et ils sont flamingants. Les textes, ils se les sont mis en bouche dans cette langue avant de passer au français. Leur accent, ils le revendiquent – comme si ça changeait vraiment quelque chose de parler comme ils parlent alors qu’on est dans la vie tout autant que dans le théâtre… C’est à une version « sauvage » de Molière qu’on nous convie, où les tréteaux et la scène c’est pareil, et où le souffleur pallie à vue, en cours de route, les défaillances, accidentelles ou volontaires, de l’un ou l’autre. Tout de suite, le texte prend un relief inhabituel, car ils ont de la faconde et de l’allant pour nous raconter ces deux histoires qu’on connaît déjà par cœur et qui renvoient dos à dos deux types de bourgeois, le grippe-sou toujours plus avide et le dépensier parvenu qui veut péter plus haut que son cul, environnés par une aristocratie qui les exploite et les ridiculise.

© Kurt Van Der Elst

© Kurt Van Der Elst

Une truculence toute flamande

Avec de l’énergie à revendre, les acteurs semblent tout droit sortis d’une toile de Brueghel ou de Jan Steen ou ripaille et jovialité ne masquent pas les petits travers. Ils n’hésitent pas s’engager dans un corps-à-texte pas à piquer des hannetons. Harpagon aboie « sans dot » et cherche sa cassette avec une conviction cocasse ; Frosine prend le public à témoin des ruses qu’elle ourdit ; ça sent son vaudeville, égrillard sur les bords. Ça glougloute et ça caquète, ça joue les volatiles séducteurs. Aucune exagération n’est laissée de côté. Les marquises ont la voix qui traîne, un tantinet snobinarde, les vieux barbons se prennent les pieds dans leur imper ou, comme Monsieur Jourdain, optent pour la barboteuse qui, d’ailleurs, n’est pas bien fixée. Nicole met les rieuses – et les rieurs – de son côté lorsqu’elle déclare : « J’aurai avec moi toutes les femmes », suscitant les applaudissements du public. Quant aux traductions faites pour Monsieur Jourdain, elles ont des allures de Lost in Translation quand de l’accumulation des paroles sortent seulement deux mots.

© Kurt Van Der Elst

© Kurt Van Der Elst

Un théâtre de tréteaux

On imagine l’Illustre Théâtre, même si l’Avare et le Bourgeois appartiennent déjà à l’époque où le chef de troupe Molière s’est implanté à Paris dans un lieu fixe, se baladant de bourg en bourg, se lançant, au milieu des spectateurs rassemblés là par un bonimenteur grandiloquent, dans une représentation où plus c’est gros et plus ça passe, où la demi-mesure est proscrite et où les leçons de la commedia dell’arte, les remarques qui fusent dans le public et l’improvisation née de ces réactions à chaud ont leur part. C’est bien là que s’inscrit la tg STAN (« tg » pour Toneelspelersgezlhap, en néerlandais « compagnie d'acteurs », « STAN » comme acronyme de « Stop Thinking About Names »), dans ce double rapport à l’improvisation et au public. Leurs mises en scène en sont imprégnées, imbibées jusqu’à l’outrance, jusqu’à l’excès, comme un ADN qui fixe, dans son processus de création, un important travail préalable à la table où chacun a voix au chapitre et participe aux décisions. Cette place centrale accordée au comédien donne au spectacle une allure particulière parce qu’il ne prend véritablement forme, malgré les mises en place succinctes des répétitions qui précèdent le spectacle, qu’une fois le public installé. Là se niche la connivence très particulière qui lie les spectateurs et les acteurs, qui entraîne tous les protagonistes dans un même mouvement et donne à ce Poquelin II, composite parce que le propos n’est pas l’œuvre, une saveur unique et variable d’une représentation à l’autre. Une offrande dynamique en même temps que comique pour retrouver, dans le bouillonnement anarchique qui laisse place au hasard, l’essence du théâtre.

© Kurt Van Der Elst

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Poquelin II

S De et avec Jan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn Van Opstal S Lumières Thomas Walgrave S Costumes Inge Büscher S Production et décors tg STAN S Coproduction Centre dramatique national Besançon Franche-Comté, Nuits de Fourvière - Lyon, Théâtre de Lorient - Centre dramatique national, Théâtre populaire romand - La Chaux-de-Fonds (Suisse), Théâtre Garonne - Scène européenne (Toulouse), Le Parvis Scène nationale Tarbes Pyrénées et Comédie de Genève (Suisse). S Spectacle présenté en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris. S Durée 3h sans entracte

Théâtre de la Bastille - 76 rue de la Roquette, 75011 Paris

Réservations : 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com

Du 8 au 19 décembre à 19h30, dim. 18 à 17h, relâche dim. 11 & jeu. 15 décembre

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