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Arts-chipels.fr

Les Règles du je(u). Un Noël explosif dans un marigot familial.

Les Règles du je(u). Un Noël explosif dans un marigot familial.

Grinçant et drôle, ce huis clos d’une réunion de famille enfermée dans des cadres immuables et rigides, lancée en un dérapage incontrôlé, a un furieux parfum d’apocalypse sociétale.

Une longue table occupe le centre de la scène, encadrée par deux banquettes où sont déposés des objets divers. Un seau à glace et des bouteilles de champagne indiquent la préparation d’une fête. Ce sont sept personnages que l’auteur a conviés pour la célébration de Noël, dont l’un brille par son absence, les membres d’une même famille – deux frères ennemis et la fille de l’un des deux, leur mère et le père, sorti d’un centre de soins pour l’occasion – auxquels se sont joint des pièces rapportées – les compagnes, occasionnelles ou pas, des deux frères. Un assemblage de personnalités disparates enfermées dans l’espace clos d’une cuisine ou d’une salle de séjour, prises dans le parcours d’une réunion obligée dont on découvrira les codes au fil de la pièce.

© Frédéric Iovino

© Frédéric Iovino

Les conditions d’une réunion explosive

Ils arrivent avec ce qu’ils sont, ces personnages qui, une fois entrés en scène, n’en sortiront plus, se faisant oublier sur les côtés du plateau quand ils sont supposés en sortir. Ils restent prisonniers d’un jeu dont la première règle est celle de la célébration de Noël, avec sa connotation de réconciliation et de rassemblement du groupe familial. Les premiers en piste sont Matthew et sa petite amie Carrie, une jeune écervelée sexy et quelque peu vulgaire qui voudrait à toute force faire bonne impression et à qui Matthew conseille de se taire – mais chassez le naturel, il revient, of course, au galop. Francis, son frère, arrive à son tour avec sa compagne mais, entre ces deux-là, c’est eau dans le gaz et soupe à la grimace. Car Nicole est un peu trop portée sur la bouteille et s’oublie à ces moments-là ; quant à Adam, sportif tué dans l’œuf et velléitaire par nature, c’est un mélange de cynisme et de mauvais humour mâtiné d’une culture de bazar. Leur fille, réfugiée dans sa chambre, joue les grandes absentes. En grande prêtresse, il y a enfin la mère, Édith, gardienne des règles familiales, édictées par le père ou pas, un Führer domestique adepte du strict respect de la tradition.

© Frédéric Iovino

© Frédéric Iovino

De règle en règle

À l’exercice imposé de la célébration de Noël et de sa codification familiale, l’auteur ajoute un certain nombre de règles pour définir et analyser le comportement des personnages. Ces consignes apparaîtront au-dessus de la scène, introduisant un dialogue cocasse avec ce qui se passe sur le plateau. Ainsi, la Règle numéro 1, qui s’applique à Matthew, stipule que celui-ci doit être assis pour mentir. C’est donc assis qu’il rassurera Carrie sur son intégration au sein de la famille, laissant entendre qu’il n’en sera vraisemblablement rien. Chacune des règles s’applique, à tour de rôle, à un personnage. Ainsi Nicole devra boire pour contredire son interlocuteur et Adam prendre une voix ridicule pour dire la vérité. Avec une jubilation féroce, Sam Holcroft complique le jeu, ajoutant d’autres obligations à chacun des personnages à mesure que la pièce avance, enfermant le jeu des comédiens dans des contraintes qui vont croissant pour la grande joie du public.

© Frédéric Iovino

© Frédéric Iovino

… et de dérapages en dérapages

Dès le début la machine grippe, avec les circonstances de l’accident cardiaque du père, minimisées par son épouse alors qu’on découvrira un vieillard gâteux, quelque peu lubrique et désinhibé sur un fauteuil roulant. Peu à peu le bel ordonnancement se défait, les failles apparaissent, les entorses à la tradition familiale aussi. La « neutralité » assumée des discussions – ni politique, ni religion, ni réchauffement climatique ni aucun des sujets qui fâchent – s’effrite, les affrontements se font plus nombreux et plus vifs et la réunion vire au règlement de comptes et au pugilat. Les hostilités cachées sortent au grand jour et on lave son linge sale en famille, toute honte bue.

© Frédéric Iovino

© Frédéric Iovino

Une observation au scalpel de la société

C’est en biologiste du développement – sa première orientation universitaire –, attentive à observer les particularités du comportement, que Sam Holcroft regarde ses personnages, qu’elle les analyse par le menu avec un microscope impitoyable, qu’elle traque leurs manies langagières, qu’elle épingle leurs aberrations. Autrice émergente des dernières décennies de la scène britannique, cette Écossaise qui a lâché la science pour la scène s’inscrit, dans une veine similaire à celle de Dennis Kelly par exemple, dans le courant d’une vision critique de la société d’Outre-Manche. Une approche qui passe par un humour mordant et iconoclaste, par une ironie cruelle, drôle à force d’être tragique. Jean-Pierre Vincent avait présenté, de Sam Holcroft, Cancrelat au Festival d’Avignon 2011. L’autrice y établissait dans la pièce un parallèle entre la vie d’une classe et un pays en guerre dont la guerre « juste » investissait peu à peu le quotidien du collège. Ici, elle explore le potentiel de violence que contiennent les non-dits d’une attitude policée, passée au filtre de la « bonne » éducation et de la « civilisation », et le microcosme familial contient en raccourci le macrocosme de la société. Croquées avec une verve féroce et dévastatrice, ces « règles de vie » (Rules for Living) sont bien proches de la barbarie…

Les Règles du je(u). Un Noël explosif dans un marigot familial.
Rules for Living ou les règles du je(u), de Sam Holcroft. Traduction Sophie Magnaud

S Mise en scène Arnaud Anckaert avec la collaboration artistique de Didier Cousin S Avec Fanny Chevallier, Nicolas Cornille, Roland Depauw, Céline Dupuis, Victoria Quesnel en alternance avec Karine Pedurand, Nicolas Postillon, Emma Anckaert en alternance avec Julie Gallet S Lumière Daniel Levy S Vidéo Jérémie Bernaert S Musique Maxence Vandevelde S Costumes Alexandra Charles S Production Compagnie Théâtre du prisme, Arnaud Anckaert et Capucine Lange S Coproduction Comédie de Picardie, Scène conventionnée d’Amiens - La Rose des Vents Scène nationale Lille Métropole, Villeneuve d’Ascq - Le NEST, CDN transfrontalier S Création le 7 novembre à la Comédie de Picardie, Amiens S À partir de 13 ans S Durée 2h30

TOURNÉE
Du 7 au 9 novembre 2022 Comédie de Picardie, Amiens
Le 15 novembre 2022 Théâtre Jean Vilar, Saint-Quentin
Le 17 novembre 2022 La Faïencerie, Creil
Les 24 & 25 novembre 2022 Comédie de Béthune, Béthune
Le 1er décembre 2022 Théâtre Jacques Carat, Cachan
Le 3 décembre 2022 L’Orange Bleue, Eaubonne
Le 6 décembre 2022 Théâtre des Sources, Fontenay-aux-Roses
Le 8 décembre 2022 Théâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis
Du 18 au 20 janvier 2023 Le NEST, Thionville
Du 25 au 27 janvier 2023 Le Phénix, Valenciennes
Le 31 janvier 2023 Le Manège, Maubeuge
Du 8 au 10 février 2023 L’Allende avec La Rose des Vents, Mons-en-Barœul
Le 2 mars 2023 Maison Folie Wazemmes, Lille
Le 7 mars 2023 La Tête Noire, Saran
Les 14 & 15 mars 2023 La Barcarolle, Arques
Le 25 avril 2023 Espace Jeliote, Oloron-Sainte-Marie
Le 4 mai 2023 Théâtre Beno Besson, Yverdon-les-Bains (Suisse)
Le 6 mai 2023 Le Reflet, Vevey (Suisse)

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