14 Février 2024
Ce témoignage d’une adolescente séduite par un homme célèbre évoque le piège dans lequel se trouve prise cette toute jeune fille, le traumatisme qui en résulte et la difficulté presque insurmontable de sortir de cette relation toxique.
Les affaires de pédophilie dans l’Église, révélées en Europe à partir de 1995, et la révélation en 2017 des harcèlements et agressions sexuelles auxquels s’est livré le producteur de cinéma Harvey Weintein ont fait éclater au grand jour l’importance des abus de position dominante. Au début des années 2020, les actions des #metoo, même si leurs excès et les outrepassements auxquels elles ont donné naissance peuvent parfois être soumis à caution, ont fait sauter un verrou. Elles ont fait céder le mur de silence, fondé sur la honte des victimes, qui régnait alors, libérant une parole trop longtemps contenue, ouvrant un débat sur la définition du viol et ses prolongements juridiques. Car bien des victimes ne portaient pas la trace d’agressions sexuelles. Elles étaient « consentantes ». le livre de Vanessa Springora dont est tirée la pièce ajoute une pierre à l’édifice de ce « consentement » qui n’en est pas un.
L’exploration du champ du « consentement »
Vanessa Springora a quatorze ans lorsqu’elle rencontre, dans le milieu littéraire que fréquente sa mère, un écrivain célèbre, G.M., qui se prend de passion pour elle. Pour cette toute jeune fille à peine sortie de l’enfance, c’est l’éblouissement. Parce que son père est aux abonnés absents et que la jeune fille investit dans cet homme la figure paternelle. Parce qu’on la remarque, qu’on la valorise, qu’elle devient quelqu’un. Parce que dans le climat de révolte qui caractérise l’adolescence, s’insurger est un moyen de se définir, d’exister. Elle décrit par le menu le processus de séduction mis en place par le prédateur, les petites attentions, le pseudo-mysticisme destiné à surmonter la trivialité de l’aventure, le harcèlement qu’elle subit quand elle décide de mettre fin à cette relation toxique.
Un mensonge partagé
Le cadre, c’est celui du milieu intellectuel et d’une permissivité héritée du « Il est interdit d’interdire » qui s’exprime à partir de mai 1968. Une mère laxiste qui finit par voir plus d’avantages et de normalité dans cette liaison que d’abus d’un homme célèbre et séducteur sur une jeune âme, un milieu qui accueille cette « anomalie » comme un fait acquis, entrant dans l’ordre des choses – l’Antiquité, en particulier, est là pour le justifier. Dans ce noyau d’acceptations, la jeune fille est partie prenante. Parce que c’est son premier grand amour et qu’elle est aveugle à ce qui l’entoure, à ce que vivent les jeunes de son âge. Jusqu’au jour où elle découvre l’œuvre littéraire de celui qu’elle croit s’être choisi, l’utilisation qu’il fait de ses rencontres et de ses expériences en tout genre… Dire non alors sera plus difficile que de se laisser porter par les serments et les belles déclarations…
Le dur chemin de la reconstruction
Lorsque vient le temps du dessillement, survient avec lui le mal-être, la douleur de je-nous qui l’empêche de marcher, l’expérience quasi-psychotique de dépossession de soi, d’inexistence, qui la rend transparente à elle-même, invisible. Sur la scène, la comédienne passe derrière un mur de papier calque qui rend ses contours flous, incertains, à l’image de la manière dont elle se voit, tandis que ses mains qui se collent à la paroi cherchent à se rendre visibles, à retrouver une réalité. Le consentement s’est mué en refus, la séduction est devenue abus et il lui faut trouver la manière de se reconstruire, de repenser son rapport à soi et aux autres, d’accepter à nouveau l’amour.
La force brute du témoignage
L’écriture agit ici comme une réponse au viol consenti. Répondre au violeur avec ses propres armes au travers du texte écrit. Ce qui frappe dans le témoignage que Ludivine Sagnier découpe avec une précision clinique, c’est son apparente objectivité, dépourvue de pathos, son refus de faire littérature, d’aller dans le drame. Pour nous faire percevoir en quoi le consentement s’inscrit dans l’ordre des abus et s’assimile à un viol. La musique, uniquement constituée de percussions, bat au rythme des pulsations cardiaques qui s’accélèrent quand l’émotivité est de sortie, marque le combat que le personnage entame avec lui-même en se métamorphosant en boxeuse-danseuse et souligne les oppositions dedans-dehors qui agitent la jeune fille. Une volontaire économie de moyens pour jouer au jeu douloureux d’une vérité sans fard d’où émerge une question : pour une blessure guérie, combien demeurent ouvertes sans rédemption possible ?
Le Consentement de Vanessa Springora (édité chez Grasset)
Mise en scène Sébastien Davis Avec Ludivine Sagnier , musicien Pierre Belleville Création musicale Dan Lévy Scénographie Alwyne de Dardel assistée de Claire Gringore Lumière Rémi Nicolas Collaboration artistique Cyril Cotinaut, Dayana Bellini Régie générale Julien Alenda Régie fils Warren Dongué Directrice de production Véronique Felenbok Chargée de production Aliénor Suet Production Sorcières & Cie Coproduction Châteauvallon-Liberté, scène nationale, Théâtre de la Ville – Paris, Château Rouge – Annemasse. Création en résidence au Liberté, scène nationale - Toulon Avec le soutien de l'Adami Déclencheur et de l'école Kourtrajmé Durée 1h20 À partir de 15 ans
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