23 Septembre 2022
L’adaptation et la mise en scène de Pauline Bayle rendent au cycle homérique la force du texte d’origine et la beauté de la langue sans expurger le caractère parfois gore des évocations décrites par le menu.
Les récits homériques de l’Iliade et de l’Odyssée ont bercé nos enfances. L’évocation transmise par ces textes, mi-historiques, mi-mythiques, où se mêlent hommes et dieux, à la croisée de la grande Histoire et des réflexions sur le destin, fait partie de notre patrimoine fantasmatique et culturel. En en donnant une vision moins expurgée de ses détails sanglants et en se rapprochant du texte d’origine, Pauline Bayle rend à la fable sa force originelle.
Deux récits aux propositions bien distinctes
Si l’Iliade évoque l’épopée historique de l’expédition grecque et de la guerre avec Troie, mettant en scène tour à tour les groupes en présence et la chronique des combats, l’Odyssée concentre son propos sur le personnage d’Ulysse et sur l’aventure de cet homme, seul, balloté par le destin, et sur sa lutte pour sa survie. Si dans le premier récit, une large part est accordée aux querelles des dieux, qui se chamaillent de manière très humaine en utilisant Grecs et Troyens pour régler leurs comptes, l’Odyssée s’intéresse davantage à la faculté d’adaptation d’un homme, Ulysse, qui par sa ruse et par son inventivité, se dépêtre des situations les plus difficiles. Même si les dieux sont présents dans les deux récits, le rôle qui leur est imparti diffère. Dans l’Iliade, ils ressemblent davantage à une famille querelleuse aux travers par trop humains. Dans l’atmosphère boulevardière de l’Olympe, Zeus règne sur une famille indisciplinée qui passe son temps à se faire des niches, et où son épouse même, pour parvenir à ses fins, n’hésite pas à utiliser le côté coureur de jupons de son mari. Dans l’Odyssée, même si Ulysse, en butte à l’ire de Poséidon, est placé sous la protection d’Athéna, les dieux qui dressent les obstacles ou donnent un petit coup de pouce pour aider le héros sont devenus des personnages secondaires.
Réentendre l’histoire
Nos souvenirs quant à la guerre de Troie et au voyage d’Ulysse sont souvent emmêlés de récits qui viennent les compléter et en éclairer le sens. Ainsi on redécouvre que l’Iliade commence avec la bouderie d’Achille, qui se dispute avec Agamemnon à propos de la possession de l’esclave Briséis. La source du conflit – l’enlèvement d’Hélène, l’épouse de Ménélas, par Pâris à la suite de la « compétition » qui oppose Héra, Athéna et Aphrodite pour la possession de la pomme d’or du jardin des Hespérides et du « jugement » de Pâris en faveur cette dernière et la guerre entre la Grèce et Troie qui s’ensuit – n’y apparaît qu’au détour de l’évolution de l’action. De la même manière le croisement des aventures de Télémaque, qui se lance à la recherche de son père, et d’Ulysse, qui enchevêtrent présent et retours en arrière avant le règlement de comptes final et la liquidation des prétendants, sont restitués dans leur non-linéarité.
Une multiplicité d’approches
Le texte d’Homère joue de différents registres que l’adaptation met en lumière. Si le poète ne nous fait grâce d’aucun détail des combats sanglants qui opposent Grecs et Troyens, se livrant à une comptabilité minutieuse des apports de chacun des Grecs en bateaux et en hommes, décrivant avec une précision clinique les coups portés lors des combats et la sauvagerie qui s’y exprime, c’est sur le mode de l’intermède presque comique qu’il décrit les dieux, renforçant ainsi le caractère tragique de ces destinées humaines devenues jouets entre les mains d’enfants capricieux. La souffrance d’Achille à la mort de Patrocle a des accents de douleur vraie. Quant à la belle Hélène, on la découvre non pas femelle triomphante, mais femme déchirée par la responsabilité qu’elle porte. Cette coexistence de styles et d’approches, loin d’être gommée par la mise en scène, est mise en lumière à travers l’exploration de différents registres de langage, lyriques, poétiques ou parodiques, par le rôle assigné au public et par le jeu des comédiens.
Retrouver la force du récit de l’aède
Cinq comédiennes et comédiens portent sur scène l’ensemble de ce grand cycle où ils assument alternativement et parfois de manière chorale les rôles masculins et féminins. Un pendentif en forme de foudre suffit à catégoriser le roi des dieux, une perruque un personnage féminin. La scénographie vise à rendre au texte la place prioritaire qui lui revient, le parti pris est avant tout celui de la simplicité. Il suffira d’une chaise, placée à l’arrière-scène, pour évoquer la tente d’Achille, qui se tient à l’écart du camp grec, de deux panneaux sur lesquels apparaissent le nom des protagonistes, grecs d’un côté, troyens de l’autre pour présenter les deux camps ou de seaux d’eau balancés sur le personnage pour évoquer les flots en colère, lassés du bain de sang dont ils sont le réceptacle.
Cette économie de moyens laisse au texte toute latitude et l’imaginaire du spectateur vient combler l'évocation. Il la peuple de résonnances qui lui sont propres. En cette période de l’histoire européenne où la guerre revient en force et où les hommes qui en sont les victimes se trouvent enfermés dans un conflit déclenché à leur corps défendant, l’Iliade et l’Odyssée nous content une histoire qui est aussi la nôtre : celle non pas de héros, mais d’hommes en butte à un destin qu’ils n’ont pas recherché et dont ils subissent les effets. Mais, au-delà de toute référence contemporaine, le spectacle donne aussi à percevoir et à entendre la magie qui imprègne ce texte et lui a fait traverser le temps.
Iliade & Odyssée de Pauline Bayle d’après Homère
Du 14 septembre au 9 octobre 2022
Iliade Mer. à 20h, ven. à 19h, sam. à 18h et dim. à 17h, relâche les lun., mar. & jeu.
Odyssée Jeu. à 20h, ven. à 21h, sam. à 20h et dim. à 19h, relâche les lun., mar. & mer.
Intégrale Iliade & Odyssée les vendredis à 19h, samedis à 18h et dimanches à 17h
Théâtre Public de Montreuil – 10, place Jean-Jaurès – 93100 Montreuil
www.theatrepublicmontreuil.com 01 48 70 48 90
Iliade de Pauline Bayle d’après Homère
S Mise en scène Pauline Bayle S Avec Soufian Khalil, Viktoria Kozlova, Mathilde Méry, Loïc Renard, Paola Valentin S Assistanat à la mise en scène Isabelle Antoine S Scénographie Pauline Bayle, Camille Duchemin S Lumières Pascal Noël S Costumes Camille Aït S Régie générale, lumière Jérôme Delporte, Antoine Seigneur-Guerrini, Alain Larue S Régie de tournée Audrey Gendre S Création 2015 Théâtre de Belleville S Production Compagnie À Tire-d’aile, le Théâtre de Belleville, Label Saison S Production déléguée en tournée Théâtre Public de Montreuil – CDN S Durée 1h25 S À partir de 12 ans
Odyssée de Pauline Bayle d’après Homère
S Mise en scène Pauline Bayle S Avec Soufian Khalil, Mathilde Méry, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Paola Valentin S Assistanat à la mise en scène Isabelle Antoine S Scénographie Pauline Bayle S Assistante à la scénographie Lorine Baron S Lumières Pascal Noël S Costumes Pétronille Salomé S Régie générale, lumière Jérôme Delporte, Antoine Seigneur-Guerrini, Alain Larue S Régie plateau Lucas Frankias, Juergen Hirsch S Régie de tournée Audrey Gendre S Création 2017 MC2: Grenoble S Production Compagnie À Tire-d’aile S Production déléguée en tournée Théâtre Public de Montreuil - CDN Coproduction Compagnie À Tire-d’aile ; MC2: Grenoble ; Scène nationale d’Albi ; La Coursive – Scène nationale – La Rochelle ; TPA – Théâtre Sorano ; TDC – Théâtre de Chartres et l’Espace 1789, scène conventionnée Saint-Ouen S Avec le soutien du Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France ; de l’Adami ; d’Arcadi Île-de-France ; de Fontenay-en-Scènes / Fontenay-sous-Bois ; du Département de la Seine-Saint-Denis S Avec le dispositif d’insertion de l’École du Nord, soutenu par la Région Hauts-de-France et le Ministère de la Culture S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national S Durée 1h35 S À partir de 14 ans