24 Juin 2022
Cette histoire d’une adolescente qui étouffe dans son milieu et adopte pour en sortir des voies délétères est juste et touchante. On est trop sérieux lorsque l’on a seize ans…
Un plateau nu, seulement « meublé » par un sommier métallique de lit pliant et une caisse très ordinaire. Une jeune fille entre. Elle a le look ado, fausse doudoune Monclar d’jeun’s sur le dos. Et elle parle à l’avenant. On comprendra, au fil de son monologue, qu’elle a plaqué sur nous, public, l’identité des parents de Jasmine, sa meilleure amie, dont elle raconte l’histoire. Mais à travers le récit d’Imène, c’est bien plus que la seule aventure de Jasmine qui se déroule…
À l’âge où faire des choix s’avère difficile…
Jasmine ne se sent bien nulle part. Dans la rue, il faut se fondre dans la masse, se rendre invisible pour passer entre les emmerdements possibles, les provocations des garçons travaillés par leurs hormones et leur affirmations de mecs. Dans la famille, ne pas faire de vague. Alors en classe, ça se traduit par « en grande difficulté », comme disent les profs. Et, côté vestimentaire, c’est le « gothique » qui prévaut. Pourtant, Jasmine, c’est une personnalité, un leader dont il convient se faire un allié si on veut faire adopter quelque chose. Mais Jasmine n’en peut plus de cette vie. Il lui faut un grand projet dans lequel consumer cette énergie qui se dépense dans des salles enfumées avec la techno à fond la caisse dans une gestuelle de l’arrachement pour se perdre.
Entre amour et engagement
Son grand projet, ce sera sa manière à elle de dire non. Ce qu’elle veut, c’est rien moins que de faire pencher la tour Eiffel. Une manière d’affirmer « Moi aussi j’existe », de se singulariser, de contraindre les autres à la regarder. Dans son refus de la vie qu’on veut lui tracer – couturière, ce serait pas mal, lui dit-on –, il y a aussi les réseaux sociaux et ces « rencontres » de hasard qu’on confond avec l’amour et dont on ne mesure pas les conséquences. L’endroit où se perdre en voulant se gagner et où Jasmine se jettera tout entière, à son corps défendant, dans une escalade aux allures de drame conjuguant les deux thèmes… Pour Imène, pas question de la suivre sur ce terrain-là, mais de l'aider si elle le peut.
Une entre toutes
Marion Solange-Malenfant, la phrase heurtée comme parole qui hésite à se dire, crachée parfois et balancée à la figure, est convaincante, authentique. L’adolescente qu’elle campe traîne son mal-être dans un no man’s land traversé par les rumeurs de la ville, sous un éclairage tantôt blafard, tantôt sanglant, toujours artificiel, comme cette vie coincée entre les lumières de la ville et les flashs colorés et agressifs des boîtes de nuit. Au-delà de cette double histoire, d’amitié comme on peut en avoir à cet âge et de désespoir parce que l’horizon est bouché, plusieurs thèmes courent sous la surface. Du côté des femmes se profile plus largement l’impossibilité de s’affirmer dans un monde où pour survivre, il est nécessaire de rester invisible. Et la pièce pointe du doigt le phénomène prégnant de notre époque qu’est devenue l’illusion de « communication » qu’entretiennent les réseaux sociaux.
Si le propos de la pièce a déjà été maintes fois abordé aujourd’hui, ce qui frappe c’est la justesse du texte, qui ne sombre ni dans l’outrance ni dans la caricature. Une manière de dire qui devrait toucher les parents, destinataires revendiqués du spectacle, mais aussi les adolescents qui y trouveront une expression de leurs difficultés d’être exprimée dans leur langage.
Romance Texte Catherine Benhamou, édité aux éditions Koïné
S Mise en scène Laurent Maindon S Création lumières, décors accessoires Jean-Marc Pinault S Costumes Tiphaine Pottier S Création son Jérémie Morizeau S Régie Julie Saigre S Avec Marion Solange-Malenfant S Durée 1h S Romance est lauréat du Grand Prix Artcena de littérature dramatique 2020 et a reçu le Prix PlatO en mars 2019 à Nantes
Au Théâtre Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris. www.lesdechargeurs.fr
Du 22 juin au 2 juillet 2022 Du mercredi au samedi à 21h15
Au Nouveau Grenier – 9, rue Notre-Dame des 7 Douleurs, 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet à 14h30. Rés. 04 28 70 05 10