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Arts-chipels.fr

Mozart. Une journée particulière sous le signe de la musique et de la BD

© Julien Benhamou

© Julien Benhamou

Raconter de manière resserrée la fin de la vie de Mozart en imaginant une dernière journée qui en rassemble les éléments marquants en alliant théâtre, musique et chant est l’un des parti pris de ce spectacle. Utiliser les ressources du dessin d’animation et la valeur de raccourci de la bande dessinée pour en exprimer le caractère parcellaire est l’une de ses originalités.

12 novembre 1791. Sur l’écran qui occupe toute la largeur du plateau à l’avant-scène, des corbeaux survolent la ville de Vienne. Immédiatement s’imposent le souvenir du dernier tableau de Van Gogh, avec ses sinistres volatiles tournoyant au-dessus du champ de blé, et la silhouette masquée du commanditaire du Requiem, la dernière œuvre, inachevée, de Mozart, qui apparaît dans le film de Mil Forman, Amadeus. L’orchestre, derrière l’écran, demeurera comme une présence entêtante de l’univers mental du compositeur, en même temps qu’il l’escortera dans cet ultime voyage qu’il effectue à travers les rues de Vienne et dans les salons princiers.

© Julien Benhamou

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Un musicien en fin de vie en proie aux difficultés

Mozart n’a que trente-cinq ans et derrière lui déjà une carrière prolifique lorsque la Faucheuse passe. Une vie dense, intense, plus liée aux superlatifs et sujette aux accélérations qu’à la tranquillité et à la sagesse. En cette année 1791, cependant, il y a comme un hiatus entre l’homme et le musicien. Chroniquement en manque d’argent car il mène grand train, contraint financièrement de déménager dans un faubourg de Vienne, en butte au procès que lui intente le prince Lichnowsky pour dettes impayées, privé du soutien de l’Empereur en raison du décès de Joseph II – Léopold II, son successeur, n’apprécie guère les francs-maçons alors que Mozart, avec la Flûte enchantée, propose un opéra ouvertement maçonnique –, malade, accablé par la perte d’une fille née quelques mois plus tôt, le compositeur est aussi à bout de forces. Il doit créer une cantate pour une cérémonie de sa loge, répondre à la commande de la Clemenza di Tito (la Clémence de Titus) pour le couronnement du roi de Bohême et travailler au Requiem. Et pourtant cette période est fertile. Outre ces œuvres et malgré son épuisement, Mozart n’en compose pas moins, de surcroît, le Concerto pour piano n° 27 en janvier 1791, et ses trois dernières symphonies dont on ignore si elles avaient un commanditaire. La Symphonie n° 39, qu’on entendra durant le spectacle et à laquelle on prête une signification maçonnique, est le premier volet de cette trilogie. Mozart révise aussi, dit-on la Symphonie n° 92, dite « Oxford », de Joseph Haydn.

Une fiction imaginée par un musicologue

Ces éléments, le musicologue H. C. Robins Landon choisit de les rassembler en une journée, celle du 17 novembre 1791 où Mozart va s’aliter pour ne plus se relever. Sa « fiction » du compositeur, il la veut proche de la réalité et David Lescot, sur ses traces, dresse le portrait d’un homme traqué, au bout du rouleau et hanté par la musique, même si son horizon s’éclaircit à la fin. Faisant passer lentement le personnage le long des façades princières de Vienne, dans un ralentissement du temps accentué par le très lent déplacement du décor projeté, c’est un être fatigué qui se traîne hors de la vue des puissants, alors qu’il conserve un visage de parfait courtisan dès qu’il intègre les salons de la bonne société.

© Julien Benhamou

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Un contexte unique

Au-delà de l’histoire de Mozart, le contexte historique s’avère passionnant. En ce 17 novembre 1791, la Révolution française est passée par là et ses échos résonnent dans toute l’Europe, d’autant plus fortement que la noblesse française est en exil. La franc-maçonnerie, qui s’était épanouie au cours de la période précédente y compris dans la noblesse, suscite la méfiance car on lui attribue une certaine paternité des idéaux révolutionnaires. Face à Mozart, franc-maçon pétri des idées des Lumières, se dresse un empereur qui craint pour son pouvoir. L’ère des monarques éclairés est révolue…

Confrontation d'époques et choc de médias

Si les personnages apparaissent en costume d’époque et si l’orchestre fait entendre les sonorités des instruments baroques, par nature très différentes de celles des instruments modernes, moins amples, moins puissantes, plus fragiles, le décor, qui apparaît sous une forme stylisée dans ce qui s’apparente à un univers de bande dessinée, introduit une dimension contemporaine. Qu’elles reconstituent la façade d’un palais, un salon de la noblesse, l’appartement de Mozart ou l’intérieur d’une loge maçonnique, les planches, travaillées comme en BD, annoncent la couleur. Elles disent l’artifice, la convention théâtrale, et l’ailleurs. Le regard de notre époque sur cette « journée particulière ». La caméra parfois se déplace en travelling le long du dessin comme un banc-titre qui le dote d’une dynamique, suit le parcours des rues. D’autres fois, installée en plan fixe d’un décor de salon, elle imprime un mouvement à certains éléments du décor. Les lustres oscillent, les flammes des bougies diffusent une lumière mouvante. Parfois les éléments du décor se livrent à un ballet silencieux au son de la musique. Des portraits apparaissent – il en est question dans les propos que les personnages échangent –, l’humour met à distance. Des subtiles déviations chaque fois introduites se dégage une puissante charge poétique en même temps qu’une impression d’étrange étrangeté qui perturbe nos repères.

© Julien Benhamou

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Un parcours musical et chanté

La musique est omniprésente. Qu’elle s’attache aux œuvres de Mozart, s’intéresse à Haydn qui fut, malgré leur différence d’âge, l’ami de Mozart ou aborde la découverte par Mozart, sous l’impulsion du baron van Swieten, directeur de la bibliothèque impériale, de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, elle court sur l’ensemble du spectacle. Le pianiste et compositeur de jazz et de musique classique Thomas Ehnco, qui interprète Mozart, nous introduit, outre les musiques « finies » de Mozart jouées au piano en concert, dans l’intérieur même du processus de composition à travers les improvisations qu’il développe lorsqu’il montre Mozart dans son intimité cherchant le juste accord, l’émotion vraie. L’art lyrique et la voix sont admirablement servis par leurs interprètes à travers les extraits d’opéras qui émaillent le parcours – Don Giovanni, la Flûte enchantée, la Clémence de Titus, et l’orchestre, tantôt accompagnateur, tantôt premier rôle, escorte le spectacle de bout en bout.

© Julien Benhamou

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Les personnages comme des apparitions

Dans l’univers de conventions, qu’elles soient théâtrales, musicales ou mondaines dans lequel baigne Mozart et que le spectacle met en lumière, les personnages cessent d’être des incarnations. Ils sont comme des marionnettes que leur manipulateur convoque en fonction de ses besoins ou comme les lapins que le prestidigitateur tire de son chapeau comme par magie. Le dispositif scénique le souligne. Alors que le décor dessiné continue d’occuper son poste à l’avant-scène, l’artifice de la mise en lumière éclaire, ici un groupe de chanteurs, là l’orchestre tout entier, ici une scène qui mêle personnages dessinés et personnages réels, là des dessins qui viennent parasiter le discours des personnages. L’image est la continuité. Les personnages surgissent comme des apparitions avant de s’évanouir tout aussi vite. Ils forment une assemblée de fantômes, une galerie de portraits, statiques, manipulés par un illusionniste. Leur seule matérialité, finalement, est l’immatérialité obsédante de la musique. Quant au spectateur, captif, fasciné, il est pris dans les rêts. Et surtout il écoute…

© Julien Benhamou

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Mozart. Une journée particulière : 12 novembre 1791.

D’après le livre de H. C. Robbins Landon

Extraits d’œuvres de Wolfgang Amadeus Mozart, Johann Sebastian Bach, Joseph Haydn

S Adaptation et mise en scène David Lescot S Avec Thomas Enhco (piano, Mozart), Florie Valiquette (soprano, Ana Maria Von Genzinger et Mlle de Destary), Antoinette Dennefeld (alto, Constanze), Yoann Le Lan (ténor, parties musicales + Keess, le messager et l'assistant), Mikhail Timoshenko (basse, Galitzine, Jacques Verzier (comédien et baryton, Swieten, Schloissnigg et Schikaneder) S L’orchestre Insula orchestra, direction Laurence Equilbey S Les musiciens Violon solo Stéphanie Paulet Violons 1 Catherine Ambach, Roldán Bernabé Carrión, Karine Gillette, Cécile Kubik , Louis-Jean Perreau, Léonor De Récondo Violons 2 Aude Caulé-Lefèvre, Maximilienne Caravassilis, Adrien Carré, François Costa, Bénédicte Pernet Altos Brigitte Clément, Lika Laloum, Julien Lo Pinto, Jean-Luc Thonnérieux Violoncelles Andrea Pettinau, Pablo Garrido, Julien Hainsworth Contrebasses Axel Bouchaux, Marion Mallevaës, Flûtes traversières Anna Besson, Morgane Eouzan Hautbois Jean-Marc Philippe, Yann Miriel Clarinettes Vincenzo Casale, Ana Melo Bassons Philippe Miqueu Amélie Boulas Cors d’harmonie Georg Koehler, Yannick Maillet Trompettes Serge Tizac, Jean-Baptiste Lapierre Trombones Guy Duverget, Fabien Dornic, Frédéric Lucchi Timbales Koen PlaetinckS Pour le décor Incidental illustration Sagar Forniés et Jordi Gastó S Additional designs Fabio Castro - Igor Sarralde S Animation vidéo David Cremnitzer S Scénographie Alwyne de Dardel S Lumières Paul Beaurelles S Collaboratrice artistique Linda Blanchet S Costumière Mariane Delayre S Durée 1h30 S Présenté dans le cadre du festival Mozart Maximum 2022 à la Seine musicale – Île Seguin, Issy-les-Moulineaux du 23 au 25 juin 2022 S Régisseur général Christophe Poux S Régisseur de scène Timon Nicolas S Pupitreurs Matthieu Durbec, Ugo Coppin S Régisseur vidéo Thomas Guiral S Habilleuses Marie-Cécile Viault, Céline Sautjot S Maquilleuse Catherine Nicolas S Chef de chant Nicolaï Maslenko S Équipe Sodexo Philippe Groux-Cibial, direction technique, Régis Guillemot, régie générale auditorium, David Trouffier, régie générale auditorium, Vincent Portier et Jules Moreau, régie son, Benoît Baillard, Bertrand Demoulin, Yves Lemonier, régie lumière S Durée 1h30 S Compagnie Kairos Véronique Felenbok, directrice de production, Marion Arteil, production et administration S La Cie du Kaïros est subventionnée par le Ministère de la Culture - DRAC Ile-de- France

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