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Arts-chipels.fr

Le Pain dur. La senteur âcre de l’argent.

Le Pain dur. La senteur âcre de l’argent.

Le deuxième volet de la trilogie que Claudel consacre aux Coûfontaine n’a rien perdu de son âpreté. Un univers où tous les personnages, quelles que soient leurs aspirations, sont colorés d’un noir intense.

Paul Claudel achève le Pain dur durant les années de guerre, en 1915. Cette fable noire plonge dans une histoire familiale où la soif du pouvoir, l’ambition et le calcul forment le soubassement d’un groupe qui a banni toute spiritualité de son parcours. Dans l’Otage, Turelure, ancien serviteur de la famille devenu préfet de l’Empire, avait exercé un chantage inique, sur Sygne de Coûfontaine pour l’épouser. Elle lui avait donné, avant de mourir tragiquement, un fils. On retrouve Turelure dans le Pain dur.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Une fable sarcastique sur l’argent-roi et la perte des idéaux

Opportuniste, arriviste, sans foi ni loi, Turelure exerce sans état d’âme des pressions sur tout son entourage. Sur sa maîtresse, une juive dont le père fait des « affaires » avec lui. Sur son propre fils, Louis, devenu officier lors de la conquête d’Algérie, qui s’est installé dans le pays et a besoin d’un argent qui lui est dû par son père mais que celui-ci refuse de lui rendre. Louis est lui-même le débiteur de Lumîr, une jeune femme qui a besoin de la somme prêtée pour aider à la libération, peut-être illusoire, de la Pologne. Ainsi le capitalisme sauvage, les corruptions du pouvoir, le colonialisme tranquille, les affres de la judéité et les aspirations nationalistes se rejoignent dans cette fable amère et révoltée à l’écriture emportée.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Des personnages prêts à tout pour parvenir à leurs fins

Construit comme un thriller, le Pain dur met en scène un crime parfait, auquel conspire l’entourage de Turelure, sa maîtresse par vengeance, son fils par besoin et le personnage de Lumîr qui entretient avec Louis des relations ambiguës pour des raison financières. Car chacun poursuit son objectif et peu importent les moyens. Plein de morgue, Turelure les défie, sûr de l’empire qu’il exerce sur eux. Le vieux bougre a encore des désirs et Lumîr n’hésite pas à jouer de cette corde pour parvenir à ses fins, jetant aux orties toute sentimentalité qui pourrait la lier à Louis pour atteindre ses objectifs politiques. Quant à Sichel, la maîtresse, tous les moyens lui sont bons pour échapper à l’image du juif, appétit du lucre inclus, qui lui colle à la peau…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Un monde sans Dieu

Au fond de la scène gît un crucifix de grande taille, renversé. Car pour tous ces personnages, Dieu est mort. Turelure propose la vente du crucifix pour un peu de monnaie. Si Lumîr est peut-être la plus proche d’une forme d’authenticité, la « pureté » du combat qu’elle mène pour la libération de son peuple passe cependant par toutes les compromissions et par l’utilisation de toutes les armes. Louis, devenu maître des lieux après le décès de son père, marche sur les traces de celui-ci. Quant à Sichel, elle est prête à renoncer aux croyances de ses pères et à se convertir si son mariage pouvait faire d’elle une personne « normale », débarrassée de son étiquette de « juive ».

Le Christ renversé est le symbole d’une société qui a perdu toute spiritualité et ne peut aller qu’à sa perte. L’apocalypse, qui est révélation, trouve là sa place. Dans un monde où le culte de Mammon est devenu la valeur suprême, les victoires sont des pertes et les gains des défaites sans espoir de salut.

Le Pain dur de Paul Claudel

S Mise en scène, décor et costumes Salomé Broussky S Avec Marilou Aussilloux (Lumîr), Étienne Galharague (Louis), Daniel Martin (Turelure et Ali), Sarah Jane Sauvegrain (Sichel) S Lumière Rémi Prin S Conception & construction crucifix Thierry Grand S Production Compagnie La Grande Ourse S Avec le soutien de l’Adami Remerciements à Annayake, F. Pinet, Malfroid, chausseur parisien.

Du mercredi 2 au samedi 26 février 2022, du mercredi au samedi à 21 heures

Théâtre les Déchargeurs - 3, rue des Déchargeurs, Paris 1er

www.lesdechargeurs.fr

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