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Arts-chipels.fr

Fantasio. Un enfant du siècle très vénitien.

© DR

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Cette délicieuse fantaisie désabusée interprétée avec un humour iconoclaste et décalé constitue un bel hommage à l’esprit de Musset. Un spectacle réjouissant, dépoussiéré, avec une pêche d’enfer…

C’est un jeune homme de vingt-quatre ans à peine qui se lance dans cette fantaisie caustique en deux actes où le pouvoir est ridiculisé. Il n’en est pas à sa première pièce – À quoi rêvent les jeunes filles ? et les Caprices de Marianne l’ont précédée dans cette époque où valsent les rois et où celui que la jeunesse surnomma « le roi des parapluies », Louis-Philippe, le roi bourgeois à la tête en poire, arrive au pouvoir. Écrite en 1833-1834, la pièce ne sera jouée qu’en 1866, près de dix ans après la mort de son auteur, et Jacques Offenbach en tirera un opéra-comique en 1872.

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Une intrigue divertissante

Le jeune Fantasio est couvert de dettes. Pour se cacher de ses créanciers, il décide de remplacer le Fou du roi récemment décédé. Au même moment, le duc de Mantoue est en route pour épouser la fille du roi de Bavière. C’est un mariage arrangé et aucun des deux personnages ne connaît l’autre. Le Duc décide d’inverser les rôles avec son aide de camp afin de découvrir sans se faire connaître sa promise. Mais personne ne s’aime dans cette histoire rocambolesque où les puissants sont prompts à déclencher des guerres pour un oui, pour un non. Aussi Fantasio, pour une fois décidé à faire une bonne action, joue-t-il les trouble-fête et risque-t-il la prison pour débarrasser la princesse de ce prétendant non désiré. Même si l’amour ne gouverne pas ici les cœurs, c’est en son nom que Fantasio conteste le pouvoir.

© Andreas Eggler

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La métamorphose d'une fable allemande en fantaisie vénitienne

Emmanuel Besnault déplace cette fable où le masque occupe une place de choix de la Bavière vers le lieu par excellence de la mascarade : Venise. Passerelles de bois et poteaux d’amarrage de gondoles voisinent, pour le décor, avec le sol carrelé d’un palais. S’y ébat, y danse et plaisante un chœur de personnages masqués, une jeunesse légère, rieuse et avide de plaisirs. C’est dans cet environnement que surgit Fantasio. Sa tenue de petit marquis XVIIIe cèdera la place à un costume d’Arlequin aux losanges bigarrés. Nous voici plongés dans la commedia dell’arte, forme typiquement vénitienne développée par Ruzzante dès la Renaissance. Les personnages, masqués ou outrageusement maquillés, adopteront le jeu hyperthéâtralisé, décalé et cocasse des personnages de la commedia. Est-ce seulement par hasard qu’Emmanuel Besnault déplace l’action dans ce lieu du jeu et de l’artifice par excellence, ou parce que Venise est l’endroit où George Sand entraîne Musset, à ce moment-là, et où, Musset étant malade, elle déplace son « affection » vers son médecin vénitien ?

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L'absence de demi-mesure et l'excès de la jeunesse

Une jeunesse turbulente et irrespectueuse transpire par tous les pores du texte. Elle trouve dans la mise en scène une expression musicale complètement décalée par rapport à la temporalité supposée de l’action et pleine de drôlerie. Côté cour, dans le coin arrière, derrière un rideau, rouge comme il se doit, se dévoile ainsi un orchestre. Mais il ne joue pas du Vivaldi. Clavier, percussions et guitare électrique balancent des décibels endiablés sur des airs rock des Rolling Stones, de David Bowie, de Nick Cave ou des Doors. Ça déménage un max, avec un entrain plus que communicatif. Ça situe l’action à la fois là-bas, dans le passé, mais aussi et surtout chez nous, aujourd’hui. Cette fable où l’absurdité et les errances du pouvoir sont mises en évidence ressemble à s’y méprendre à des situations contemporaines… et la manière de les railler n’est guère éloignée de ce qu’on entend dans la bouche des jeunes générations.

© Valentin Perrin

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Fantasio, un enfant du siècle, mais duquel ?

Fantasio est le digne représentant de cette jeunesse revenue de tout. Double de Musset, il porte en lui la silhouette du dandy désabusé aux belles couleurs, « le mois de mai sur les joues », mais au vide intérieur, « le mois de janvier dans le cœur ». La raillerie est la politesse de son désespoir devant la sottise de ses contemporains et le paysage ressemble à son état d’esprit, le « soleil couchant est manqué. La nature est pitoyable… » Saltimbanque en déséquilibre sur le bord du vide, avec une tête où ne restent « que du vent et des cendres », il se tourne d’un côté ou de l’autre avec la même indifférence. Boire, parler, analyser et faire de la politique ne sont que les multiples facettes du même gouffre. Comment ne pas y trouver une résonnance d’un monde qui n’a plus d’ambition, plus d’autre projet que de se survivre ? Ce Fantasio-là, avec son air aimable et sa légèreté trop manifeste, nous sert, dans la bonne humeur et pour notre plus grande joie, un bien mauvais brouet…

© Valentin Perrin

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Fantasio dAlfred de Musset

S Mise en scène Emmanuel Besnault S Avec Lionel Fournier (Marinoni, Aide de camp du prince), Benoit Gruel (Fantasio), Elisa Oriol (Princesse Elsbeth), Deniz Türkmen (La Gouvernante et Spark), Manuel Le Velly (Le Prince de Mantoue) S Assistante, masques et accessoires Juliette Paul S Lumières Cyril Manetta S Costumes et maquillages Valentin Perrin S Scénographie Emmanuel Besnault S Production Compagnie L’Éternel Été Coréalisation Théâtre Lucernaire S Partenaires Ville de Versailles, Festival Le Mois Molière, La Factory / Avignon, Festival Friscènes, Belcastel en scène S Remerciements / Réalisation des costumes Nolwenn Caudan, Eline Cottenceau, Morgane Lissonde / Fabrication des décors Laura Krompholtz, Atelier Förma Durée 1h20

Du 26 janvier au 27 mars 2022 à 20h du mardi au samedi, dimanche à 15h ou 17h

Au Lucernaire – 53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris

01 42 22 66 87 www.lucernaire.fr

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