29 Avril 2022
Laurent Orry conte avec passion l’histoire d’un homme habité par la musique, qui n’avait jamais connu la terre.
Lorsque le Virginian, un paquebot plein d’immigrants galvanisés par ce seul mot, « Amérique », aborde New York, un enfant né durant la traversée est abandonné dans un carton de limone sur le piano du salon des premières classes. Il est recueilli par un marin, un géant noir qui travaille sur le bateau, Danny Boodmann. Il lui donnera pour nom le sien, accolé à T. D. Lemon, Novecento car il naît au tournant du XXe siècle. L’enfant grandit et son père meurt. Au moment de le débarquer pour s’en débarrasser – il a alors huit ans, le capitaine le trouve installé au piano, jouant un air qui transporte les passagers, sortis de leur lit par la musique. C’est dit : Novecento restera sur le navire.
Un conte du XXe siècle
Le narrateur de l’histoire, c’est le trompettiste qui passa quelques années à bord avec Novecento. Le costume fripé, le manteau usé et sale, la flasque de whisky ou de gin dans la poche, Tim Tooney a vendu sa trompette et erre par les rues. Il raconte cette musique des sphères que produisait le pianiste, sa manière de traduire les états sans cesse changeants de la mer, de saisir, au fil des conversations des passagers, leurs récits de voyage, comme s’il avait visité les mêmes lieux qu’eux, de s’évader de par le monde sans quitter sa chaise et par le seul pouvoir de la musique. Novecento, virtuose du ragtime, joue du jazz sans le savoir et son toucher virtuose transcende les airs qu’il joue sur un mauvais piano en troisième classe, là où ses improvisations se développent sans la contrainte des desiderata des spectateurs.
L’homme qui n’avait jamais vu la terre
Sans papiers, sans identité, Novecento n’a jamais quitté le bateau. Ce qu’il sait de la terre, il l’a contemplé depuis le bord ou glané au fil des conversations et Tim le presse d’enrichir ses sensations en découvrant le monde, le vrai… Mais Novecento résiste, il a peur d’affronter la ville, de rencontrer ces millions de gens alors qu’il n’en connaît chaque fois que quelques milliers. Il recule devant cet infini qui s’ouvrirait à lui mais qui n’appartient qu’à Dieu. Un jour cependant, il se décide. Il descendra à New York. Mais arrivé sur la passerelle, passés les premiers pas, il s’arrête, hésite, puis regagne le bateau. Il ne le quittera plus, traversera la guerre à son bord et accompagnera le bateau jusqu’à son dernier voyage…
La métaphore de l’artiste
Le texte d’Alessandro Barrico se développe avec une rythmique puissante, une musicalité poétique dont Laurent Orry rend la dynamique et le caractère enlevé. L’émotion affleure quand il dépeint ce trompettiste fatigué, désespéré de n’avoir pas atteint l’idéal qu’il se fixait, qui sombre dans le désespoir et l’alcool. Elle saisit lorsqu’il évoque la capacité d’un artiste inspiré de nous faire voyager, de nous entraîner hors de nous-mêmes ou qu’il traduit la peur de Novecento face à l’immensité du monde, son impossibilité d’aborder le réel pour le confronter à son imaginaire. Entre vivre et rêver, Novecento a choisi. La vraie vie est ailleurs…
Novecento : pianiste d’Alessandro Baricco (éd. Gallimard, Folio). Trad. Françoise Brun
S Interprétation et mise en scène Laurent Orry S Compagnie Les Âmes errantes S Spectacle créé au festival off d’Avignon 2021 S À partir de 8 ans S Durée 1h15 S Ce spectacle est soutenu par l’ADAMI
Du 4 au 26 juin 2022, du mercredi au samedi à 19h, le dimanche à 15h30
Au Lucernaire - 35, rue Notre-Dame-des-Champs Paris 75006
Rés. 01 45 44 57 34 / www.lucernaire.fr