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Arts-chipels.fr

Bijou, Bijou, te réveille pas, surtout ! Histoire d’un adolescent qui voulait être roi…

Bijou, Bijou, te réveille pas, surtout ! Histoire d’un adolescent qui voulait être roi…

À la croisée entre sommeil et veille, un voyage imaginaire qui s’ancre dans notre mémoire des contes et des récits pour dessiner une parabole de l’adolescence et de ses tourments.

Ils sont allongés sur la scène, encombrée de tout un bric-à-brac d’objets. Des bouts de décor en ruines émergent d’un coffre, des papiers jonchent le sol en terre battue. Dans un coin, une table à repasser attend sa repasseuse. Des costumes de scène sont suspendus sur un portant. Dans un coin, seul personnage éveillé, un acteur gratte quelques notes de guitare électrique. Nous sommes dans un no man’s land sujet à métamorphoses pour un récit qui évolue au fil des songes.

© Alain Richard

© Alain Richard

Entre veille et sommeil, le lieu de tous les fantasmes

Bientôt un comédien émerge du sommeil. Il sort du coffre une guitare complètement déglinguée – normal, il casse tout ce qu’il touche. Il s’affuble, façon d’jeun’s qui se la joue, d’une paire de lunettes noires, se contemple dans le reflet inexistant d’un débris de décor, enfile la chemise à jabot qui vient de passer au repassage. Il est jeune, plein de rêves et se dit : « Pourquoi je serais pas le roi ? » Il aimerait voir le monde façonné à sa guise, se sentir grand dans un monde petit, devenir une star du rock adulée dans un music-hall en délire. Mais ça, dans le monde réel, ce n’est qu’un beau rêve. Alors, pourquoi pas se réfugier dans le sommeil où tout est possible – ou dans le théâtre, c’est un peu pareil... Vivre cette seconde vie où l’on se projette, où on peut faire comme si, devenir quelqu’un d’autre, à la mesure des ambitions qu’on pourrait avoir mais qu'on n'exprime pas.

© Alain Richard

© Alain Richard

Un voyage au pays du langage

Comme une pelote qu’on dévide ou comme des brins de vie qu’on file sur la quenouille, c’est par sauts de puce, discontinus, en suivant un ordre dicté davantage par l’enchaînement des sonorités des mots qu’en suivant le parcours linéaire d’une pensée, même si sont passés en revue les thèmes qui touchent et secouent les adolescents et qui ne sont pas faits que de bons moments. Quand on puise de l’eau dans un seau, ce sont les larmes qui le remplissent. Mais tout aussitôt, l’association d’idées guette et amène le rêveur à citer : « Fontaine, je ne boirai pas… » Un personnage qui fume nous entraîne à « nous fûmes » dans un environnement de fumée et de fumet des saucisses qu’on grille sur un faux feu. On prend les définitions à rebours. Les pommes de terre deviennent des frites recollées avec un peu de peau. Les allitérations fleurissent, on ergote sur le genre, sur le petit page et la page de livre, on voit le monde comme une grande bibliothèque où chacun serait un volume.

© Alain Richard

© Alain Richard

Une exploration des références culturelles, des contes et des comptines

S’il n’y a pas de fées penchées sur les berceaux, les chiens parlent et jouent de la musique, une table se dresse en un clin d’œil tandis que la nappe descend des cintres et le roi, couronné de carton doré, porte en guise de sceptre un grand bâton fourchu. « Il était un petit navire » voisine avec « Chantons sous la pluie ». Les trompettes du Festival d’Avignon sont de la partie – théâtrale, évidemment – tandis que le roi – le jeu de mots entre Lear et lire s’impose – a, comme l’énonce le divin Shakespeare, trois filles dont deux le plumeront en emportant les meubles et la vaisselle. Quant à la troisième, plongée dans le sommeil, elle aura des allures de Belle au bois dormant dans son joli costume de tulle blanc. À chaque fois, rien n’est d’équerre dans l’histoire, tout se mélange et marche de travers – comme dans les rêves, justement. Le « héros » se demande pourquoi Lear porte une robe – c’est pas une fille pourtant – et pourquoi la femme de ses rêves s’obstine à l’appeler Samuel alors que ce n’est pas du tout son nom…

© Alain Richard

© Alain Richard

L’adolescence, c’est pas tout rose…

Dans ce monde cocasse où rien ne se trouve là où il devrait être, les relations parents-enfants sont bien sûr sur la sellette. Dans une langue qui est celle d’aujourd’hui, les filles de Lear truffent leur langage de mots grossiers et s’aplatissent lamentablement au sol lorsqu’elles sont sommées de s’excuser. Cela ne les empêche pas de balancer à leur père qu’elles le prennent pour un con… Mais l’évocation des révoltes adolescentes ne s’arrête pas là. Au milieu de la scène trône un couteau, posé là comme une amorce des cauchemars que compte l’âge de l’adolescences et de la violence qui en fait parfois partie intégrante. Même si on joue à se battre en duel à grands coups d’épée de pacotille, à quoi peut bien servir un couteau sinon à tuer ? Il rappelle à quel point les valeurs de notre société s'ancrent dans la lutte et la rivalité et nous inculquent de devenir tueurs, et combien les enfants y sont, eux aussi, plongés. Le tableau ne serait pas complet sans les incertitudes amoureuses typiques de cet âge, les hésitations, les atermoiements, la danse des pas en avant et en arrière, les audaces esquissées ou jetées au vent qui font partie de cet âge où l’on se cherche et où l’on se perd parfois. Ce qui fait dire à l’un des personnages : « Pourquoi l’amour est-il dans les rêves et le couteau dans la poche ? »

Cette évocation touffue, éclatée et pleine d’allant, où le théâtre devient la grande scène du monde, passe au large du réalisme et parle en paraboles. Dans la forêt des multiples symboles et allusions, on peut penser qu'en faire comprendre la portée aux jeunes ados dans un après-spectacle n'est pas inutile. À l’inverse, les adultes, qu’on espère non dogmatiques, peuvent y puiser l’amorce d’un dialogue parfois fort malaisé à établir. Cela n'ôte rien au plaisir du théâtre, évidemment…

© Alain Richard

© Alain Richard

Bijou bijou, te réveille pas surtout de Philippe Dorin

S Mise en scène Sylviane Fortuny S Avec Jean Louis Fayollet, Déborah Marique, Catherine Pavet, Morgane Vallée, Johann Weber S Scénographie Sylviane Fortuny et Sabine Siegwalt  S Lumières Kelig le Bars S Musique Catherine Pavet S Costumes Sabine Siegwalt S Vidéo Matthieu Berner S Régie générale et lumière Jean Huleu S Régie plateau Franck Pellé S Assistant à la mise en scène Simon Gelin S Coaching vocal Anna Hornung S Peinture du rideau Lorraine Acin-Dorf S À partir de 9 ans S Durée 1h S Création de la compagnie Pour ainsi dire – Paris

Mercredi 8 décembre à 15h, jeudi 9 décembre à 10h, samedi 11 décembre à 16h

Au Théâtre Gérard Philippe, CDN de Saint Denis – 59, boulevard Jules Guesde – 93200 Saint-Denis

Tél. 01 48 13 70 00 https://tgp.theatregerardphilipe.com/

Tournée 2021/2022

19 novembre à La Courneuve – Centre culturel Jean Houdremont, scène conventionnée – 93

8 > 11 décembre 2021 à Saint-Denis – TGP, centre dramatique national – 93

19 > 22 janvier 2022 à Toulouse – Théâtre de la Cité, CDN – 31

2 et 3 février 2022 Tremblay-en-France – Théâtre Louis Aragon – 93

6 février 2022 à Gradignan – Théâtre des 4 saisons, scène conventionnée – 33

6 et 7 mars 2022 à Châtellerault – Les 3T, scène conventionnée – 86

11 et 12 mars 2022 à Noisy-le-Sec – Théâtre des Bergeries – 93

30 mars > 1er avril 2022 à Créteil – MAC, scène nationale – 94

7 et 8 avril 2022 à Pantin – Service culturel de la Ville de Pantin -93

19 > 23 mai 2022 à Villeurbanne – TNP, théâtre national – 69

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