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Arts-chipels.fr

Le Jeu d’Anatole. Une Vienne fin de siècle où se joue la fin d’un monde.

Le Jeu d’Anatole. Une Vienne fin de siècle où se joue la fin d’un monde.

Cette sympathique comédie, drôle et douce-amère, respire la manière désabusée dont Schnitzler, qui est l’auteur de la pièce dont elle est tirée, dépeint un monde victime de son propre pourrissement, dont les ors et les lustres ne masquent plus que le vide. L’adaptation de Tom Jones et la mise en scène d’Hervé Lewandowski en font un spectacle plein de fantaisie, à cheval entre l’opérette et le music-hall.

Un intérieur bourgeois, sa bibliothèque et son inévitable sofa. Anatole et son ami Max papotent. Et de quoi parlent les hommes le plus souvent au théâtre quand ce n’est pas de pouvoir ? De femmes, évidemment. De celles qu’on convoite, de celles qu’on est en train de séduire ou de celles qu’on a séduites. Anatole et Max n’échappent pas à la règle. Car Anatole a une âme de Don Juan. Il collectionne les conquêtes comme certains les bibelots ou les montres de gousset. Qu’une jolie femme passe et le voici tout émoustillé, l’œil velouté en éveil, tous charmes déployés, prêt à monter à l’assaut de la belle. Mais qu’une autre croise son regard et le voici aux pieds de la nouvelle créature de rêve sur laquelle il a jeté son dévolu. En fait Anatole n’aime pas. Il est amoureux de l’amour.

© Noémie Kadaner

© Noémie Kadaner

La solitude du séducteur de fond

Cependant, Anatole a un problème. Il n’aime pas qu’on le quitte ou qu’on lui soit infidèle. Il ne lui suffit pas de conquérir, il veut aussi posséder, régner sans partage sur ses proies. Mais justement sa dernière « acquisition » le déstabilise. Il a le sentiment confus qu’elle lui est infidèle et il ne parvient pas à chasser ce doute qui le taraude. Pour en avoir le cœur net, il empruntera un stratagème au bon docteur Freud. Il hypnotisera Cora pour lui faire révéler ses pensées les plus intimes… Convaincre la jeune femme de se prêter à ce jeu innocent est aisé mais nos deux compères découvrent bientôt que la manière de poser la question peut induire une réponse qui n’en est pas une. Anatole, pas si courageux au fond, préférera bientôt l’esquive et le maintien dans l’ignorance. Garder l’illusion qu’il reste le maître. Quant à Cora, devenue suspicieuse, elle ne se prêtera plus à l’exercice.

© Noémie Kadaner

© Noémie Kadaner

Les femmes qu’on quitte et celles qui vous quittent…

Tout au long de la pièce il sera question de cette poursuite incessante par Anatole d’il-ne-sait-pas-quoi au travers de rencontres qui, toutes, sont porteuses de désillusions, qu’il s’agisse d’une de ses anciennes conquêtes réfugiée dans un terne mariage, de l’illusion dont il se berce d’avoir trouvé l’amour – le vrai – auprès d’une femme du « peuple » dans une simplicité qui lui semble vite factice ou qu’il recule devant le mariage qu’il a lui-même choisi, au lendemain de l’enterrement de sa vie de garçon. Le Don Juan, joueur et léger, dominateur et triomphant s’efface peu à peu et vieillit au milieu d’une société qui ressemble étrangement à un monde de no future, avec ces règles de la « haute » qui se délitent et se diluent dans une assemblée de cocottes des deux sexes. La Rue sans joie est à la porte et se profilent, derrière l’art qui déforme la figure et tord les corps de la Sécession viennoise, avec Schiele et Kokoschka, les figures berlinoises grotesques et grinçantes d’Otto Dix.

© Noémie Kadaner

© Noémie Kadaner

En comédie et en chansons

Sur scène, comme dans un cabaret, le piano accompagne l’action. Empruntant sa musique aux airs d’Offenbach, le livret de Tom Jones fait résonner la « Barcarolle » des Contes d’Hoffmann, « l’Air du Brésilien » de la Vie parisienne ou la « Lettre » de la Périchole. Et on s’amuse beaucoup de les entendre sur d’autres paroles en vers et en rimes lorsqu’ils se transforment en « Adieu à la Veuve Cliquot » ou en vibrant appel à ce que « Dieu fasse que j’aime le pot-au-feu ». Les comédiens jouent ces situations d’opérette avec le décalage qui dit la référence et la met à distance. Singeant la comédie musicale ou un cancan raté, en solo, en duo ou en trio – avec une Mélodie Molinaro dans les cinq rôles féminins, passant de la cocotte à la mondaine ou à l’étudiante énamourée – ils mènent une revue qu’ils affirment de pacotille avec un allant communicatif. On n’en capte pas moins, au passage, des réflexions plus générales sur l’amour qui veulent qu’aimer le genre humain dans son ensemble – fût il féminin – n’est aimer personne et que, quoi qu’on fasse, la femme demeure « une énigme ». Avec ses femmes libres ou entravées, dominatrices ou dominées, mais jouant toujours avec les codes qu’on attribue à la féminité pour les détourner, le Jeu d’Anatole pourrait bien être en réalité celui de Cora ou d’Elsa, d’Annie, d’Émilie ou d’Elona et devenir le Jeu avec Anatole

© Noémie Kadaner

© Noémie Kadaner

Le Jeu d’Anatole ou les manèges de l’amour (The Game of Love - A Musical Entertainment)

S Livret et paroles de Tom Jones S Musique Jacques Offenbach S Arrangements et musiques additionnelles Nancy Ford S D’après la pièce Anatole d’Arthur Schnitzler (dans la traduction anglaise de Lilly Lessing) S Adaptation Stéphane Laporte S Mise en scène Hervé Lewandowski S Avec Gaétan Borg, Mélodie Molinaro, Yann Sebile, Guillaume Sorel, Sébastien Ménard ou Jonathan Goyvaertz (piano) S Direction musicale Sébastien Ménard S Création sonore Geoffrey Bouthors S Lumières Denis Koransky S Costumes Julia Allègre S Scénographie Natacha Markoff S Production : Jardin sur cour S Coréalisation : Théâtre Lucernaire en accord avec l’Agence Drama – Paris www.dramaparis.com pour le compte de Music Theatre International www.mti shows.eu S Durée 1h20

Du 13 octobre au 28 novembre 2021 à 20h du mardi au samedi, dimanche à 15h ou 17h

Lucernaire - 53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris

Rés. : 01 45 44 57 34 et sur www.lucernaire.fr

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