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Arts-chipels.fr

Désobérire. Petite séance de dégrippage philosophique au Café du Commerce.

© Damien Duca

© Damien Duca

On peut ne pas bronzer idiot, mais tout aussi bien boire un verre et profiter du bistrot pour se cultiver sans s’ennuyer. C’est ce que proposera le festival Tournée générale dans certains cafés parisiens du XIIe arrondissement à Paris du 29 juillet au 1er août. En attendant, séance inaugurale de causerie philosophique sur le thème de la « désobéissance » au bar Le Satellite.

Ce n’est pas tout à fait le Café du Commerce mais un bistrot de quartier, avec ses habitués, et d’autres aussi, venus pour l’occasion… Ambiance bon enfant à la terrasse du café Le Satellite où, au milieu des échanges rendus plus intenses par des mois de privation, deux clowns sérieux et facétieux venaient nous entretenir de sujets graves légèrement traités. Le premier, Guillaume Clayssen, est philosophe, intellectuel sans l’ennui et le jargon qui accompagnent parfois cette qualification. Son comparse, Erwan Ferrier, est acrobate. On cheminera donc entre acrobatie de la parole et verbalité du geste, une autre manière de donner du sens aux mots, mais aussi à la vie. Le thème du jour – ils en changent chaque fois – est la désobéissance.

Désobéir, un devoir salutaire

Pourquoi désobéir ? Parce que, comme Guillaume Clayssen le reprend à Beckett, « nous sommes dans la merde ! ». Gilets jaunes, chômage, écologie en berne, nous ne manquons pas de motifs pour nous insurger et dire notre ras-le-bol. Face aux errements en tout genre qui nous brident, nous contraignent, nous enferment, nous musèlent, il ne reste que la désobéissance. Mais pourquoi, dans quel cadre, avec quelles justifications et de quoi sommes-nous capables ? Toute notre éducation vise à faire de nous des individus qui ont appris à obéir. Fais pas ci, fais pas ça, dis bonjour à la dame, brosse-toi les dents… on intègre tellement ces obligations qu’elles en deviennent nécessité – ce qui ne veut pas dire que toutes sont des atteintes intolérables à notre liberté. Liberté, voilà le mot lâché quand Rousseau, dans le Contrat social considère qu’on doit forcer l’homme à être libre et que La Boétie, dans le Discours sur la servitude volontaire, enfonce le clou en déclarant qu’un tyran « n’a de puissance que celle qu’on lui donne ». Mais qu’en est-il de la désobéissance quand la loi est voulue et votée par le peuple ? Elle devient une règle – comme le suffrage universel – que nous nous sommes donnée à nous-mêmes. Pourtant quand cette loi édictée par une démocratie imparfaite ne correspond plus à la loi qui nous semble juste, la désobéissance n’est-elle pas de mise ? Et de citer Henry David Thoreau refusant de payer ses impôts à l’État esclavagiste du Massachussetts. Car obéir peut conduire à la position que défend Eichmann, chargé de l’acheminement des juifs vers les camps d’extermination, lors de son procès : faire ce qu’on lui disait de faire. « Les ‘pontes’ avaient donné leurs ordres. Il ne me restait plus qu’à obéir », déclare-t-il, ajoutant qu’il s’était senti « vierge de toute culpabilité ». Ainsi chemine-t-on d’étape en étape en passant par le mensonge ou la vérité, la notion de « loi naturelle » et sa perversion vers la notion d’estime de soi et du devoir de désobéissance qu’on a à l’égard de soi-même.

Un duo, de pensée en acte et d'acte en pensée

Cela commence doucement, par de sympathiques provocations d’Erwann, qui interrompt son partenaire à tout propos et à n’importe quel moment pour éprouver jusqu’où peut aller une forme d’obéissance consentie. Le clown blanc philosophe supporte sans broncher mais avec une pointe d’agacement, car il a perdu le fil de son discours, les facéties d’Auguste. Chacun éprouve la liberté de l’autre et sa faculté de transgression. Mais bien vite le terrain de la rébellion se déplace vers une réflexion sur l’acrobatie. Elle est, elle aussi, une manifestation d’indiscipline, et donc de désobéissance, quand la norme veut qu’on se déplace sur ses deux jambes et non sur les mains, et sa matière même vise, d’une certaine manière, à défier les lois naturelles telles que la pesanteur. Peu à peu les deux points de vue se rejoignent lorsque Erwann cherche à transposer le propos philosophique dans sa pratique quotidienne. D’abstrait, le questionnement devient concret, attitude de vie et plus seulement de pensée. Il donne à l’interrogation sur l’existence d’une loi « naturelle », immanente, une acuité particulière.

© Damien Duca

© Damien Duca

Désobérire, un espace libertaire sans quatrième mur

Le projet de création questionne la notion de création elle-même. Produit d’une rencontre des points de vue indépendants de Guillaume Clayssen et Erwan Ferrier, sans nivellement de leur position respective, il constitue un mode d’approche éminemment libertaire, faisant acrobatie avec la philosophie tout autant que philosophie avec l’acrobatie, propositions circassiennes et philosophiques se mêlant dans une atmosphère où le troisième larron – parfois Jojo, nourri de références et de renvois de notes en bas de page – est le public. Performances pensées in situ, les interventions de nos deux complices varient selon les lieux où ils jouent. Désobérire s’inscrit dans un espace commun aux spectateurs et aux acteurs, où rire et pensée ne sont plus antinomiques et où le désordre ajoute une composante joyeuse à une rencontre entre l’imaginaire et la pensée.

L’inscription dans un projet global

Désobérire, c’est aussi la proposition d’ateliers tripartites : philosophique, autour de certaines dualités philosophiques telles que « soumission / insoumission », « désobéissance légitime / désobéissance illégitime » ou « société de surveillance / société de contrôle », animé par Guillaume Clayssen ; d’écriture autour du thème de l’obéissance, de la désobéissance ou de la révolte, animé par Claire Marx, comédienne travaillant entre autres sur l’écriture collective ; sur la mise en scène de sa propre révolte à partir des textes écrits, en empruntant tout aussi bien à la musique, au cinéma ou au texte et en explorant diverses formes d’expression telles que théâtre, cirque, chant, etc. animés selon les étapes par Guillaume Clayssen, Claire Marx et Erwann Ferrier. Leur inscription dans Tournée générale, un festival créé à l’initiative de la critique de théâtre Anaïs Héluin dans le quartier de la Vallée de Fécamp (Paris, 12e) rejoint la préoccupation de soutenir un secteur largement touché par la crise du coronavirus tout en proposant une alternative conviviale aux grands rassemblements, encore problématiques aujourd’hui. En accompagnant Guillaume Clayssen et d’autres artistes, Tournée générale affirme sa volonté de faire émerger des formes nouvelles, à la croisée de l’écriture et d’autre disciplines : un laboratoire de créations légères mais exigeantes. Mais, au-delà de ces prises de position artistiques et citoyennes, Désobérire offre un vrai bon moment de refaire le monde à une terrasse de bistrot, de faire fonctionner nos petites cellules grises tout en dérouillant nos zygomatiques encristés dans un isolement forcé de plusieurs mois. Un bilan plus qu’appréciable...

TOURNÉE

6 et 7 juillet 2021 : Mimos, Périgueux

9 juillet : Pont Audemer

29 juillet : lieu à définir à Paris 12e, dans le cadre du festival Tournée générale

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