22 Mars 2021
Entre paroles et musique, l’art de boxer les mots de Mounia Raoui dialogue avec les hybridations musicales d’Areski dans un spectacle d’une poésie et d’une musicalité intenses.
Sur une rumeur confuse de foule, un peu de jazz aux accents tziganes dérive vers des sonorités orientales. Une silhouette toute de noir vêtue apparaît. « Bonjour, Monsieur le Commissaire. Je voudrais voir Madame la Justice. Elle n’est pas là ? » Le ton est donné. Sur le mode du récitatif, du « slam » pour reprendre les termes d’aujourd’hui, nous voilà lancés dans une écriture qui s’inscrit dans les failles, qui parle la souffrance et la révolte et réenchante les mots. Ce qu’on va entendre c’est le témoignage, la confession fantasmée pleine de grands écarts d’une femme traversée de « couteaux de partout dans un corps qui saigne ».
Entre souffrance et révolte
Elle raconte. Sa naissance avec huit jours de retard pour affronter le monde, son enfance de « bâtarde de bonne famille » qui cherche à « faire ses dents » alors qu’elle mordra la poussière, sa personnalité d’enfant des villes « enfermée entre le ciel et l’asphalte » qui craint de mourir sans la tristesse d’avoir existé, de fille trop grande, « non homologuée ». Elle dépeint sa maladie sociale, sa difficulté à se définir – « Ma main bat de l’aile sans identité fixe » – culturellement placée entre des mondes et n’appartenant à aucun – « Ma langue maternelle, c’est le silence » –, comme une poupée brisée aux morceaux mal recollés. Elle décrit son rapport à la société, cette autre joue qu’il faut tendre avant de cesser d’accepter la règle du jeu, la France qui pleure, entre gaullisme et Programme commun, le capitalisme qui « fait de nous des chiens ». Sans élever la voix, d’un ton neutre dans lequel passent toutes les nuances d’une vie intérieure, elle livre des bribes incandescentes d’images, entre Rimbaud et romantisme, dans lesquelles l’amour répare et sépare, où on s’aime et on se désamoure avec la même folie.
La musique, dans un dialogue subtil et riche
Déjà dans Comme à la radio, l’album qu’Areski avait créé en 1970 avec Brigitte Fontaine et l’Art Ensemble de Chicago, le texte et la musique empruntaient des chemins parallèles, distincts et complémentaires. Là encore, la musique joue sa partie sans illustrer le texte et sans lui fournir – sauf en quelques cas – la matière d’une chanson. Avec les excellents musiciens que sont Gérard Tempia Bonda au violon acoustique, Bobby Jocky à la basse, et Dondieu Divin au piano, la musique distille un parfum délicat et complexe aux senteurs de fusion. Musiques du monde et mélange de genres musicaux forment une trame indissociable. Bach fait bon ménage avec les accents rock et jazzy, l’Orient et l’Occident se répondent et s’épaulent. Dans une démarche contrapuntique, texte et musique instaurent un dialogue où il est question de mal de vivre, d’identité et de révolte.
Le lieu de l’Autre
Il n’est pas indifférent que le spectacle ait été créé dans une structure nommée « Le lieu de l’autre ». Anis Gras – le Lieu de l’Autre est un équipement culturel du territoire Grand Orly Seine-Bièvre installé dans une ancienne usine créée par François-Vincent Raspail, qui dispensait des soins gratuits et militait pour l’égalité sociale, pour commercialiser ses recherches pharmaceutiques et produire des liqueurs digestives. Elle fut reprise par la famille Bols puis par les frères Gras, qui y fabriquèrent de l’anisette. Racheté par la ville d’Arcueil, le lieu abrite depuis 2005 l’association Écarts, qui héberge des artistes en résidence dans un espace de création ouvert à la diversité des pratiques et des parcours artistiques, avec une programmation non prédéfinie et des actions artistiques et culturelles hors les murs, milieu scolaire inclus. Thalia Tchou est d’abord né de la rencontre, dans ce contexte, entre l’écriture littéraire de Mounia Raoui et l’écriture musicale d’Areski et de leur collaboration sur le spectacle les Mômes porteurs, lui-même issu du projet de l’album.
Thalia Tchou. Texte de Mounia Raoui. Musique d’Areski Belkacem.
Avec : Mounia Raoui (jeu), Areski Belkacem (jeu et percussions), Gérard Tempia Bonda (violon acoustique), Bobby Jocky (basse), Dondieu Divin (claviers)
Prochain concert : 1er et 2 octobre 2021, à Anis Gras – Le Lieu de l’Autre, Arcueil (94)
Sortie simultanée de l’album du concert.