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Arts-chipels.fr

Maya, une voix... Le chant de l’oiseau en cage : écrire en noire

Maya, une voix... Le chant de l’oiseau en cage : écrire en noire

 

La vie de l’écrivaine et essayiste noire américaine Maya Angelou est un roman dont elle fit littérature. Ce spectacle musical rend un bel hommage à cette artiste militante qui accompagna dans leur lutte Malcolm X et Martin Luther King et dont les textes accompagnèrent l’adoubement de Bill Clinton à la tête de l’état américain.

La polémique autour du choix des traducteurs d’Amanda Gorman, la jeune poétesse qui s’exprima lors de l’investiture de Joe Biden le 20 janvier 2021, n’est pas éteinte tant elle pose de questions sur le plan éthique. Affirmer, comme l’ont allégué les représentants littéraires de la jeune femme, qu’il faut être femme et noire pour être capable de rendre compte de la nature afro-américaine de sa poésie n’est pas anodin dans le contexte actuel de raidissement des communautarismes et des effets pervers qu’il entraîne. Éric Bouvron y répond à sa manière en créant un spectacle où comédiennes-chanteuses noires et blanches se glissent dans leurs peaux mutuelles, parfois en inversant les rôles, pour nous raconter une histoire qui sort de l’ordinaire.

© DR

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Le destin prodigieux d’une petite noire du Sud

Elle n’est pas banale, Marguerite Annie Johnson connue sous le nom de Maya Angelou. Son destin de petite fille fournit à lui seul la matière d’un roman. Née à Saint-Louis dans le Missouri, elle a pour premier horizon le travail dans les champs de coton et la dureté des conditions de vie. La ségrégation est son lot quotidien. Confiée, avec son frère, à sa grand-mère qui tient une petite épicerie, l’enfant est récupérée, à sept ans, par sa mère. Violée par le compagnon de celle-ci, elle témoigne lors du procès qui le met en accusation. Relâché, l’homme finira assassiné. La jeune fille cesse alors de parler parce que « les mots sont vivants. Ils ont le pouvoir de guérir mais parfois ils ont le pouvoir de tuer. » Renvoyée chez sa grand-mère, elle y rencontre une amie de celle-ci, Bertha Flowers, une femme cultivée et indépendante qui l’initie à la littérature. Mère célibataire avant d’avoir 20 ans, cuisinière, danseuse et chanteuse, elle suit en Afrique un compagnon de Nelson Mandela, côtoie au Ghana Malcolm X qu’elle fait entrer aux États-Unis, est la coordinatrice new-yorkaise de l’organisation de Martin Luther King. Plus tard, en 1993, reconnue et célébrée, elle dira un poème lors de l’investiture du président Clinton. Rendre un hommage à Maya Angelou, peu connue – voire inconnue – en France dans la galaxie des personnalités afro-américaines ayant combattu pour la reconnaissance des droits de la communauté noire, comble un manque.

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Au croisement du passé et du présent

Le spectacle est construit comme un flash-back. De l’investiture du président américain, nous sommes projetés en 1935, dans l’enfance de la jeune fille. Si l’esclavage a été aboli, la ségrégation demeure et, dans certains endroits, il n’existe pas de toilettes pour les gens de couleur. Mais au-delà, il y a le mépris où sont tenus les noirs que la bourgeoisie blanche raille sans vergogne. De Marguerite, Maya devient Marie selon le bon plaisir de la patronne qui l’emploie comme domestique jusqu’à ce que Bertha Flowers la pousse à développer sa personnalité et son autonomie, l’initie à la littérature, lui fournisse des livres et l’incite à écrire – « Écris, puisque tu ne parles pas », lui dit-elle. Elle lui fait lire Shakespeare, Frankenstein de Mary Shelley mais aussi George Sand ou Victor Hugo, entre autres, et lui redonne confiance en elle-même. Comme dans un roman d’apprentissage se dessinent peu à peu les étapes formatrices de la personnalité de la jeune femme. Fragile et forte à la fois, elle conquiert sa liberté et s’évade de la cage dans laquelle l’avaient enfermée les codes sociaux de l’époque.

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Une vie dans la musique

Dans le parcours de Maya Angelou, la musique est partout. Dans les champs de coton qu’elle observe chaque jour et où s’exhale la plainte des opprimés, dans les cantiques et les spirituals qu’on chante à l’église, dans le métier qu’exerce sa mère, chanteuse de cabaret, qu’elle contemple éperdue dans ses boas et ses strass. Ce sont ces rythmes syncopés, blues et jazzy, lents et plaintifs ou gais et pleins d’espoir qui nourrissent sa poésie au point qu’on ne sait plus, dans le spectacle, démêler ce qui lui appartient en propre et ce qu’elle emprunte au contexte. Son aventure personnelle, qu’elle conte au fil de ses récits autobiographiques, est indissociable de la musique. Elle apparaît en particulier à plusieurs reprises dans les titres mêmes de ses écrits, I Know Why the Caged Birds Sing (Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, 1969, qui lui valut le succès), mais aussi dans Singin' And Swingin' And Gettin' Merry Like Christmas (Chanter, swinguer et être heureux comme à Noël, 1976) et A Song Flung Up to Heaven (Une chanson lancée au paradis, 2002). Elle se fond dans la longue complainte des asservis, dans leurs révoltes et leurs espoirs aussi.

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Cinq comédiennes-chanteuses pour une galaxie de personnages.

Cinq femmes épatantes jouent tous les rôles, noirs et blancs confondus. Un châle et les voilà métamorphosées en bourgeoises prenant le thé et médisant sur leurs domestiques – noires comme il se doit. Un tablier et les voilà de l’autre côté, singeant la domestique noire telle que la voient la « maîtresse » et ses amies. Une veste, un gilet ou un feutre sur la tête et c’est le père, ou bien un patron de cabaret minable, un juge ou un notable qui est campé. Le décor n’est qu’accessoire : quelques chaises sans caractère pour asseoir les dames de la bonne société, des escabeaux sur lesquels reposent les objets qui serviront à leur faire endosser les personnages. Dans une partition à plusieurs voix où l’une termine ce que l’autre a commencé, elles se succèdent et se répondent, chantent parfois en chœur, en anglais et toujours a cappella, en fredonnant dans le même temps l’accompagnement de percussions qui rythme la chanson. Ursuline Kairon, native de Chicago passée du Cabaret latin et des variétés télévisées au théâtre, campe une Maya hésitante et timide qui s’affirme progressivement et fait de sa vie et de ses convictions la matière de ses écrits. Chants, dialogues en français et narration se succèdent à rythme soutenu. L’humour, le jeu et la bonne humeur gouvernent ce spectacle musical très soigné, plein d’optimisme et d’allant. Le mot « divertissement » prend ici tout son sens. Il n’est pas diversion vide et vaine mais reconquête d’un plaisir intelligent…

Maya, une voix, de Éric Bouvron, Julie Delaurenti, Tiffany Hofstetter, Sharon Mann et Élizabeth Wautlet. Traduction de l’anglais de Julie Delaurenti

Mise en scène : Éric Bouvron

Musiques originales : Nina Forte et standards de blues et de jazz

Avec : Ursuline Kairon, Julie Delaurenti ou Sharon Mann, Vanessa Dolmen, Tiffany Hofstetter ou Élizabeth Wautlet, Audrey Mikondo

Au Festival d’Avignon 2021, Théâtre Essaïon

Du 7 au 31 juillet à 10h.

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