2 Octobre 2020
La dernière nouvelle de Joseph Roth, partiellement autobiographique, présente un personnage attachant d’ivrogne auquel Christophe Malavoy confère une jovialité pleine de tendresse et de chaleur humaine.
Un rideau translucide de fils qui pourrait figurer aussi bien la brume dans laquelle s’estompent les personnages que la pluie qui tombe en noyant le décor. Derrière, un bugle déroule une mélodie mélancolique. Devant, des accessoires aux formes arrondies, circulaires, sans agression angulaire, qui figureront aussi bien une table de bistrot qu’une chambre d’hôtel. Un homme, « fort bien mis et d’âge mûr », rencontre un clochard qui dort de pont en pont, au gré de ses errances. L’homme offre au vagabond 200 francs, à charge pour lui de rembourser le prêt au plus tôt à sainte Thérèse de Lisieux dans l’église Sainte-Marie-des-Batignolles. Le clochard, qui « a de l’honneur même s’il n’a pas d’adresse » accepte le prêt. En toute honnêteté. Mais voici qu’il se laisse tenter par un petit coup à boire et de fil en aiguille se retrouve sans le sou. L’un des consommateurs l’invite et lui propose un travail de déménageur en échange d’une somme qui lui permettra largement de payer sa dette. Mais las ! une nouvelle tentation se profile. D’autres opportunités se dessinent, toujours ponctuées à la fin par un, puis deux, puis trois verres et ainsi de suite. Chaque fois que notre sympathique buveur dispose d’une somme suffisante pour s’acquitter de sa dette, il la perd, pas seulement en boisson mais aussi en femmes. Jusqu’au moment où…
La chaîne sans fin de la recevabilité sociale
Muni de son premier pécule, notre clochard se rend chez le barbier et constate, une fois rasé de frais, qu’il a acquis, pour lui-même et les autres, de la respectabilité sociale. C’est cette considération nouvelle dans laquelle il s’installe qui le pousse vers le travail et vers les mésaventures successives qui résultent de son « enrichissement ». Notre vagabond lunaire s’engage dans la chaîne des attendus sociaux sans révolte ni refus, il rentre dans le système avec la placidité bonasse du « pourquoi pas ». Les miroirs, qu’il avait toujours évités car ils lui donnaient de sa déchéance une image sans fard, ne sont plus si hostiles et les chambres d’hôtel se font plus accueillantes. Mais peut-on réellement échapper à sa dégringolade et quel est, s’il existe, le viatique qui tiendrait lieu d’échappatoire ?
La misère touchée par la grâce
Il y a du cocasse et de la tendresse dans la manière dont Roth campe le personnage. Et un air de faux imbécile attachant, de naïf plein de malice et doucement heureux dans la manière dont Christophe Malavoy campe ce clochard à qui l’on loue une chambre pour livrer un costume, et dont des mains s’échappent en permanence des billets qu’il ne peut retenir. Au son plaintif du bugle et sur des airs populaires qui viennent interrompre le cours du récit, de manière adventice parfois un peu artificielle – du Temps des cerises à Rutebeuf et Léo Ferré (Que sont mes amis devenus) en passant par Syracuse et la Petite fleur de Sydney Bechet – se dessine le portrait doux-amer d’un personnage qui ressemble étrangement à son auteur. Joseph Roth, qui a fui l’Allemagne nazie en 1933 pour se réfugier à Paris, alcoolique depuis toujours ou presque, y vit dans le plus complet dénuement. Il y mourra avant que la déportation ne frappe les juifs, mais peut-être son personnage trouvera-t-il dans la capitale la grâce attendue…
La Légende du Saint Buveur de Joseph Roth
Adaptation & mise en scène : Christophe MALAVOY
Assistante à la mise en scène : Catherine PELLO. Scénographie : Francis GUERRIER. Lumières : Maurice GIRAUD. Costumes : Nadia MEEN
Avec l’amicale participation de : Pascale Bordet - Pascal Amoyel - Christophe Lampidecchia et Denis Chevassus.
Petit Montparnasse, 31, rue de la Gaîté – 75014 Paris
Du 2 octobre au 28 novembre 2020, du mercredi au samedi, 19h00.
Tél : 01 43 22 77 74. Site : www.theatremontparnasse.com