24 Septembre 2020
Une farce tragique sur la différence où l’horreur revêt les oripeaux du carnaval.
A la ferme Tonhoff, la famille se rassemble pour le repas. On y trouve là un bel échantillon d’humanité : le père, épais et gras, la mère, un peu simplette, la servante, critique l’air de ne pas y toucher et les deux fils, nés de pères différents car oui, la mère a fauté. Mais on ne sait pourquoi, l’un des fils a perdu la parole. En guise de phrases, il n’émet que des grognements de porc. Au grand désespoir du père car c’est l’enfant légitime. Devant l’ignominie que représente pour la famille cette différence, tous vont tenter de lui rendre la parole, par la douceur d’abord, puis avec des méthodes de plus en plus radicales et violentes. Commencée sur le mode de la farce, la situation vire au jeu de massacre…
Une fable détournée
Peter Turrini écrit sa pièce en 1971, alors que les artistes autrichiens tentent de percer la chape de plomb qui occulte le passé nazi du pays. Elle révèle et dénonce la sauvagerie masquée sous les dehors de respectabilité de monsieur Tout-le-monde et l’intolérance qui surgit dès qu’on a gratté le mince vernis d’humanité qui la recouvre. La troupe choisit d’en élargir le propos pour le généraliser et en faire une réflexion sur la sauvagerie humaine et le traitement qu’elle fait de la différence.
Les ficelles de la farce
L’auteur choisit de recourir à la farce, mode truculent qui devient bien vite un écrin nauséabond où fleurissent la grossièreté et le laisser-aller. Les personnages ont tout pour plaire : machisme pour les hommes et grasses plaisanteries sexuelles, veulerie et obéissance placide pour les femmes, affèterie vide de sens des notables incarnés par le nobliau-instituteur-curé et médecin qui rimaille lorsqu’il parle pour surtout ne rien dire. Les paysans sont épais, frustes, militaristes et cocardiers, soucieux du qu’en-dira-t-on. Rien n’est assez gros pour dénoncer leurs travers et la mise en scène force encore le trait en leur prêtant des faces déformées, aux nez et mentons soulignés se rapprochant du groin qu’ils rejettent. Face à ces cochons qui se prennent pour des honnêtes gens, le malheureux grogneur-couineur a une figure d’enfant de chœur malmené par les bourreaux tonitruants accrochés à ses basques comme des mouches à merde.
De la farce au drame
Il y a quelque chose des Deschiens dans ce tableau de famille, mais avec le rentre-dedans et la sauvagerie en plus. L’aspect caricatural des personnages, la grossièreté assumée des propos et l’outrance du jeu entraînent peu à peu le spectateur vers l’effroi en même temps que le décor perd le caractère rassurant du quotidien et que l’outrance s’installe. Mais – et c'est dommage car hormis des intermèdes de hard-rock assez trash qui n'apportent pas grand-chose la proposition scénique est intéressante – fallait-il pour cela croquer la famille en paysans bretons, épais et obtus ? N’était-ce pas, là encore, s’inscrire parmi les contempteurs de la différence ? L’imagerie populaire s’en était déjà chargée par le passé, pas toujours avec bonheur et à-propos. Décidément, Bécassine doit se retourner dans sa tombe, elle qui pensait être rangée aux oubliettes avec la disparition de « ce mot hideux de province » !
La Fête du cochon de Peter Turrini
Mise en scène : Marie Brugière et Majan Pochard
Avec : Xavier Mémeteau, Marie Brugière, Gabriel Rouvière, Pierre Boucher, Léonie Kerckaert, Hugo Boulanger
Son Théo Cardoso. Lumière Théo Tisseuil. Costume, scénographie, effets spéciaux Majan Pochard
Au Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon – 75018 Paris
Du 23 au 26 septembre 2020 à 21h, dimanche 27 à 17h00
Tél. 01 46 06 08 05. Site : www.lavoirmoderneparisien.com