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Arts-chipels.fr

L’Histoire sous les fourches caudines de l’interprétation. La question de celui qui parle et de celui qui regarde.

L’Histoire sous les fourches caudines de l’interprétation. La question de celui qui parle et de celui qui regarde.

Quand l’évocation de la Révolution convoque Robespierre et Saint-Just, mais aussi Jules Vallès, elle entraîne dans son sillage la lutte contre l’esclavage et l’aliénation et Toussaint Louverture, Aimé Césaire, Kateb Yacine ou Thomas Sankar. Question d'où on se place...

Ils sont trois. Le narrateur incarne l’écrivain et l’auteur de l’histoire représentée. Son personnage principal, une jeune Maghrébine, regarde l’épisode révolutionnaire et plus généralement l’Histoire de son propre point de vue en choisissant des textes qui lui parlent. Un troisième personnage prête sa voix tour à tour à tous les discours officiels qui, de la Révolution de 1789 à l’époque contemporaine, émaillent le débat sur l’égalité des droits et la fraternité humaine.

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L’Histoire, une question de point de vue

D’entrée de jeu, le narrateur confronte sa vision de la Révolution française – celle que diffuse de génération en génération l’école républicaine – à la position de la jeune Algérienne qui la regarde avec d’autres yeux. Là où le narrateur et les Français « de France » voient en Robespierre le révolutionnaire exalté, l’artisan intransigeant et sanguinaire d’une Terreur aveugle, elle retient l’avocat épris d’idéal qui dès l’origine plaide pour l’abolition de l’esclavage. Là où, par un de ces retournements dont l’Histoire est coutumière, on passe de l’égalité de tous les humains à un distinguo hypocrite entre Noirs et blancs destiné à préserver la propriété des uns et la marche inchangée des activités économiques et commerciales, la jeune fille met en avant la clairvoyance de Robespierre qui s’oppose à cette manipulation au nom des principes révolutionnaires. « Périssent les colonies », déclare-t-il, et si en France le commerce triangulaire est un bon moyen de faire tourner une machine en difficulté, il n’en doit pas moins être rejeté. A l’extrémisme de Robespierre, la bourgeoisie qui s’empare du pouvoir oppose un pragmatisme bon teint qui masque l’entorse faite aux principes de la Révolution. L’incorruptible devient dangereux et le corrompu le « bon » de la sinistre farce. Et lorsque les insurrections dans les colonies, en particulier de Toussaint Louverture à Saint-Domingue, et les débats révolutionnaires aboutissent en février 1794 à l’abolition de l’esclavage, il est tout aussitôt rétabli par Bonaparte-Napoléon. Saint-Domingue obtiendra cependant son indépendance en 1804. L’île, nommée Haïti, deviendra la première république noire de l'Histoire.

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Trois étapes pour éclairer l’Histoire

Le spectacle adopte un parcours chronologique. A l’épisode révolutionnaire succède le XIXe siècle. Lamartine plaide pour une indemnisation des colons privés d’esclaves afin de leur permettre d’utiliser leurs anciens esclaves comme employés. Magnifique pirouette qui, sous des dehors généreux, introduit un équivalent entre esclavage et salariat. Et si le grand Hugo défend les velléités d’indépendance de Cuba et du Mexique, il n’en plaide pas moins pour une colonisation de l’Afrique, ce continent qu’il juge privé d’histoire, où les races supérieures apporteront aux moins « évoluées » les bienfaits de la civilisation. Au moment où Jules Ferry rend l’école obligatoire, il invente en même temps une histoire de France dans laquelle la révolution est terminée et une école qui vise à imposer au peuple le respect des lois et de la propriété. La révolution n’existe plus et il s’agit de se fondre dans un ordre nouveau. Clemenceau s'inscrit en faux. Il prône que la révolution n’est pas finie et que les mêmes ennemis sont toujours là. Cela ne l’empêchera pas, une fois au gouvernement, de faire tirer en 1907 sur des Marocains et des ouvriers en grève. Le XXe siècle viendra clore cette réflexion sur la colonisation et l’exploitation d’autrui au mépris des principes de la Révolution.

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La révolution, une attitude encore d’actualité

Les histoires mêlées de la colonisation et de l’histoire de France poursuivent leurs routes simultanées au siècle suivant où De Gaulle entre dans Paris, encadré par les Africains qui se sont battus pour l’indépendance – celle de la France et la leur en même temps. La Deuxième Guerre mondiale révèle que la lutte contre la violence de l’Occupation ne peut être séparée du combat contre le racisme et le despotisme. Mais les massacres de Sétif le 8 mai 1945 et la guerre d’Algérie montrent qu’on est encore loin du compte. Et lorsqu’en octobre 1961, Thomas Sankara transforme la Haute Volta en Burkina Faso – le pays des hommes intègres – fustigeant les colons qui par la déforestation ont laissé le désert gagner sur des terres autrefois verdoyantes, ce n’est que pour succomber à son tour un peu plus tard aux sirènes du pouvoir absolu qui conduiront à son assassinat.

Dans ce chassé-croisé les textes s'opposent et se complètent pour donner de l’Histoire une version plus complexe qui débouche sur la Syrie, l’Iran et l’Iraq contemporains. Continue d'y courir la même revendication d’émancipation des peuples et d’égalité des droits qui caractérisa la France révolutionnaire. A travers cette vision nuancée de l’Histoire, intelligemment construite, qui n’oppose pas de manière manichéenne les gentils et les méchants, se raconte la revendication, toujours d'actualité, des hommes – et des peuples – à disposer d'eux-mêmes et de jouir d'une égalité de droits, et la permanence d’une contestation nourricière qu’on suit avec intérêt de bout en bout à travers de beaux textes d’une éloquence indéniable qu'on a plaisir à découvrir pour certains.

Maudite Révolution d’Olivier Tonneau

Avec : Stéphane MercoyrolSabrina ManachSophie Tonneau

Au Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon – 75018 Paris

Du 23 au 27 septembre 2020 à 19h, dimanche à 15h00

Tél. 01 46 06 08 05. Site : www.lavoirmoderneparisien.com

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