9 Mars 2020
Le public était convié à souffler les quarante bougies du quatuor Enesco. Un magnifique concert plein d’émotion et de surprises.
On ne présente plus le quatuor Enesco tant la carrière de ses membres, ensemble et séparément fut brillante au niveau international et ses disques nombreux, dont un Diapason d’or et le Grand Prix du Disque de l’Académie française. Les quatre complices de longue date qui le composent – Constantin Bogdanas, Florin Szigeti, Wladimir Mendelssohn et Dorel Fodoreanu – se sont produit partout dans le monde depuis la fondation du Quatuor en 1979. Pour fêter leurs quarante années de collaboration, un concert était organisé salle Cortot. Au programme : la Jeune Fille et la Mort de Schubert, le Quatuor « américain » op. 96 de Dvorák, et un arrangement pour le quatuor d’une pièce pour orchestre de Georges Enesco, écrit par Wladimir Mendelssohn, Fantaisie sur la Rhapsodie roumaine n° 1.
Une complicité sans faille pour une lecture musicale de toute beauté
Si nos quatre mousquetaires ont de l’humour à revendre et nous ont offert pour le bis des variations assez cocasses sur le thème de Happy Birthday en forme d’à-la-manière-de (Carlos Gardel, Dvorák, etc.), ils ne nous en ont pas moins donné une magnifique leçon de musique. Ces quatre-là se connaissent sur le bout des archets. Ils ont une extraordinaire manière d’être ensemble. Pas seulement parce qu’ils sont parfaitement en rythme et qu’il émane de leurs quatre voix une impression d’harmonie profonde, chacun maîtrisant l’intensité de son jeu pour l’intégrer à l’ensemble, mais surtout parce qu’ils modulent de manière infiniment subtile le rapport des instruments entre eux, et leur rapport à la composition, les pianissimi et les forti, les graves et les aigus, la variété des sons et des accents, faisant ressortir toutes les nuances dans leur interprétation. On se régale des rythmes tsiganes qui émaillent la musique d’Enesco et qui sont l’expression de l’attachement du musicien – et de ses interprètes – à la musique populaire roumaine. On perçoit l’émerveillement de Dvorák devant ce Nouveau Monde qui s’ouvre à lui lorsqu’il débarque en Amérique et dont il reprend des airs traditionnels à danser. Mais la nostalgie du pays qu’il a quitté demeure présente et les cordes distillent en même temps que la joie la nostalgie du pays perdu. Quant à la Jeune Fille et la Mort, c’est un petit miracle de subtilité, la force pure d’un lied douloureux qui fait des cordes l’expression de la voix humaine. La Jeune Fille pleure et se lamente parce qu’elle ne veut pas mourir tandis que la Mort caressante use de sa force de persuasion pour l’entraîner. Aux réticences plaintives de l’une s’oppose l’insistance impérative de celle qui l’entraîne. Les instruments disent cela, en particulier dans cet andante inoubliable qui fait dialoguer les violons, expression de la voix de la jeune fille, avec les cordes plus graves de la Mort. Les cordes chantent, de toute leur âme – pour jouer sur ce mot commun aux émotions humaines et à la structure des instruments. La musique du quatuor Enesco nous fait voyager dans ce pays nocturne où les morts vont vite et où la cavalcade qui se fait effrénée conduit à l’abîme. Nul excès ne traverse cependant la musique, nulle violence inutile. Et lorsqu’il y a sursauts, ils sont ceux d’une partie où les dés ont déjà été jetés.
On l’aura compris, le bonheur fut grand et l’émotion intense. Ces anniversaires-là, on aimerait les fêter tous les jours…
Quatuor Enesco – Constantin Bogdanas (violon), Florin Szigeti (violon), Wladimir Mendelssohn (alto et arrangements), Dorel Fodoreanu (violoncelle).
Frantz Schubert, Quatuor op. posthume « La Jeune Fille et la Mort »
Antonin Dvorák, Quatuor « américain » op. 96
Georges Enesco, Fantaisie sur la Rhapsodie Roumaine n°1