3 Avril 2019
Ils sont gays, lesbiennes, bi-, trans-. Ils racontent ce moment difficile où ils ont quitté l’ombre pour la pleine lumière, où ils ont franchi le pas de rendre publique leur différence. Un documentaire plein de tendresse qui montre qu’en dépit des légalisations et reconnaissances de tous bords, il reste encore du chemin à faire...
Denis Parrot, monteur et infographiste, découvre un jour sur YouTube la vidéo d’un jeune garçon qui se filmait sur une webcam en train de téléphoner à sa grand-mère pour lui avouer son homosexualité. « Cette vidéo, dit Denis Parrot, m’a beaucoup ému, non seulement par rapport au dispositif, très simple, un peu tremblotant, mais aussi par ce qu’elle dévoilait de non-dits dans ses silences. » C’est le point de départ d’une recherche qui l’amène à visionner plus de 1 200 vidéos mises en ligne entre 2012 et 2018.
Un patchwork signifiant
De ces témoignages éclatés dans le temps et l’espace, de l’Australie au Canada, de France aux États-Unis en passant par le Japon, l’Allemagne ou la Russie, il nous entraîne dans l’univers de très jeunes gens à la frontière entre l’enfance et l’adolescence, qui prennent une décision fondamentale : être eux-mêmes à la face du monde, assumer leur différence, et partager avec d’autres le moment unique où ils ont décroché. Ces bouteilles à la mer lancées dans l’océan de la Toile, Denis Parrot les a sélectionnées, organisées pour qu’à travers le film elles offrent une diversité représentative des situations et des comportements. Loin d’être un inventaire sec et intellectuellement mis au carré, ce montage, réalisé à partir de documents non artistiques dans leur essence, conserve et transmet une humanité chaleureuse.
Une galaxie d’attitudes
C’est un moment clé leur vie que mettent en scène tous ces jeunes gens. Ils le font « pour que les personnes comme nous qui ont peur et ne peuvent pas être elles-mêmes sachent qu’elles ne sont pas une erreur et qu’elles ne sont pas seules. » Ils vivent pour la plupart encore chez leurs parents et ils voudraient leur dire, partager avec eux ce qu’ils portent comme un poids, une difficulté d’être parfois, ce qui n’est pas un choix – un jeune Anglais rétorque à une question sur son choix d’être gay, « Et vous, quand avez-vous choisi d’être hétéro ? » – mais un état, une manière d’être au monde avec laquelle il faut vivre. Alors ils empruntent diverses voies pour le dire. Il y a ceux qui organisent une séance filmée, où les mots peu à peu vont surgir, embarrassés, difficiles, comme extirpés par la force de trop de silence. Il y a ceux pour qui l’aveu est trop dur, ou la peur trop grande, et qui utilisent la distance du téléphone portable pour dire ce qu’ils n’osent pas dire. Il y a ceux qui ont grandi en toute liberté et ceux qu’une éducation rigide a contraints, ceux que la religion a entraînés dans une spirale de culpabilité dont ils se dégagent, ceux qui sont homo ou lesbiennes, ceux qui se vivent de l’autre genre et décident de s’assumer. On les sent fragiles, à la fois hésitants à dire et sûrs de leurs choix, à peine sortis de l’enfance mais déjà grands.
Se placer sous le regard de l’autre
En face, il y a l’autre. Les parents, avec leur poids de vécu. Eux aussi existent, avec leur amour, leur incompréhension parfois, leurs maladresses. Ils comprennent ou ils cherchent à le faire, comme ils peuvent, avec des mots venus d’une époque où hors l’hétérosexualité, il n’y avait point de salut. Ils acceptent souvent, parfois avec un peu de gêne, une appréhension devant les conséquences de cet aveu. Ils rejettent aussi. Bien souvent ils savaient ou sentaient, attendant le moment où surgirait la confession. Certains pensent avant tout au bien-être et au bonheur de leur enfant, quels que soient ses choix, telle cette grand-mère que sa petite-fille interroge en lui faisant visionner une chanson homo. D’autres s’inquiètent du qu’en-dira-t-on, de la réaction des voisins et des proches, d’autres encore acceptent du bout des lèvres en pensant que « ça passera ». Et puis il y a ceux qui rejettent, avec une violence qui peut aller jusqu’à l’agression physique, qui injurient leurs enfants, les chassent de chez eux, les suppriment de leur vie comme s’ils leur déniaient le droit à l’existence. En arrière-plan parfois, il y a aussi la religion, telle cette église baptiste des États-Unis qui diffuse sur son site des messages homophobes d’une agressivité extrême : « Dieu déteste les pédés ».
Les mères d’abord
Ces coming out, ils constituent un magnifique témoignage d’amour pour leurs proches. Ces ados, ils voudraient qu’on les comprenne et surtout qu’on les accepte comme ils sont, comme eux-mêmes acceptent les autres et comme ils ont fini par s’accepter. Mais en creux, ils disent aussi autre chose. Dans leur écrasante majorité, c’est vers leur mère qu’ils se tournent. Dans les catégories genrées de la famille, les femmes sont du côté de l’amour et du sentiment, les hommes du côté de l’autorité. Et cette distinction continue d’avoir cours. Pour ces jeunes, dire est déjà difficile et la mère, plus proche dans la répartition des fonctions au sein de la famille, toute désignée pour comprendre mieux. Un seul père apparaît dans le film et ses longs cheveux attachés dans le dos révèlent une position en marge d’un certain establishment.
Mais qu’ils s’adressent à leurs parents ou à ceux qui, comme eux, aimeraient vivre ce qu’ils sont sans entrave, ces témoignages, non apprêtés, non passés au filtre de la fiction mais livrés bruts, dans leur authenticité, avec leur force de conviction, offrent un magnifique plaidoyer pour la reconnaissance de la différence dans une société où elle est souvent mise à mal. « Ça ne devrait pas être difficile. On ne devrait pas se sentir honteux ni menacé ni culpabiliser… » Au-delà des parents, directement concernés par le film, il reste à tous le loisir de méditer sur ce que nous sommes et au modèle de société que nous voudrions construire.
Coming out. Un film de Denis Parrot - France 2018.
Montage image : Denis Parrot
Montage son : Olivier Laurent
En salle le 1er mai 2019