13 Novembre 2018
Ce distrayant dessin animé qui reprend un schéma traditionnel et éprouvé – l’histoire d’un chaton qui part à la découverte du vaste monde pour retrouver sa mère – est l’occasion de s’aventurer sur des terres esthétiques plutôt exotiques à nos yeux européens.
Léon, gros chartreux gris à la bouille ronde et hilare, file des jours heureux et tranquilles dans l’unique pièce qu’occupe sa maîtresse dans un grand immeuble. Paresseusement roulé en boule, il ne comprend pas l’agitation permanente qui électrise son fils Oscar. Celui-ci n’accepte pas de rester confiné dans les quatre murs de la pièce quand il y a tant d’expériences excitantes à vivre dehors. Et puis il y a sa maman, dont Oscar ne se souvient pas vraiment, mais qu’il veut retrouver. Elle a trouvé, lui raconte-t-on, refuge au pays merveilleux de Catstopia, un endroit reculé, coupé du monde, où les chats vivent en paix et en liberté dans une nature heureuse. Alors Oscar, enfermé par sa maîtresse qui craint de le voir écraser par une voiture, cherche à s’évader. Il habite un étage trop élevé pour sauter ? qu’à cela ne tienne il trouvera un moyen pour voler ! Mais ses expériences s’avèrent désastreuses jusqu’à ce que le hasard le propulse dehors, au grand dam de son père et du volatile avec qui il partage les lieux, un perroquet nommé Kiwi. Tous deux se lancent à la poursuite du téméraire chaton au milieu des périls de la circulation de la ville moderne. Pour corser le tout, il leur faudra traverser une rivière, lieu de tous les dangers pour atteindre l’autre rive et la montagne où, dit-on, se trouve Catstopia.
Une route jalonnée d’embûches
Nos trois lascars ne sont évidemment pas au bout de leurs peines. Aux dangers de la grande ville moderne se substitue un grand méchant, un artiste qui s’empare des animaux pour les figer en figures de verre géantes, monstrueuses chimères faites d’animaux assemblés par un sculpteur fou. Il emploie comme exécuteurs des basses œuvres une bande de ratons laveurs cruels et obstinés, qui ne lâchent jamais leur proie. Ça chauffe donc pour nos trois amis qui trouvent un allié dans la place en la personne d’un chat des rues devenu tenancier de bar dans ce pays où il fait mal vivre. Poursuites et bagarres émaillent le voyage de nos trois loustics qui finiront, bien sûr, par libérer les animaux prisonniers et par détruire ce monde inique et cruel. Catstopia n’est pas loin, mais est-elle vraiment la terre dont ils avaient rêvé ?
Une qualité d’animation remarquable
Des poils du pelage au chaloupement balancé de la démarche féline, la qualité des dessins et de l’animation s’avère d’une finesse remarquable. Comme une caméra découpant l’espace, plans larges et resserrés alternent avec des gros plans parfois surprenants vus du niveau du sol, s’attardant sur les poteaux massifs de jambes humaines, ou au contraire avec un survol aérien et léger, flottant dans l’air avant de rezoomer sur nos héros errant dans la forêt. Il faut dire que la production a duré 4 ans et a mobilisé environ 170 artistes et techniciens. Nous sommes loin du bricolage dans un garage à la manière de Disney à ses débuts ou de Georges Méliès dans son atelier. Gary Wang s’est entouré d’équipes internationales, notamment issues de Pixar, pour la postproduction et le mixage.
Les scènes de combat – référence au kung fu ? – sont réglées au petit poil. Les plumes volent, on s’écharpe à qui mieux mieux, on échange des horions avec une énergie joyeuse. Pas de temps mort dans cette course-poursuite qui mène nos trois personnages des entrailles effrayantes de l’atelier façon usine où bouillonne la matière en fusion jusqu’aux profondeurs d’un lac très philosophique où se trouve une bien étrange contrée.
Entre Orient et Occident
L’intrigue rappelle invinciblement les Disney des débuts, avec son cortège de méchants plus vrais que nature, le refrain de la peur, inséparable d’un univers enfantin peuplé d’ogres et de méchantes sorcières, et cette présence de la mort, qui n’est pas sans rappeler Bambi. Ce qui étonne peut-être le plus dans cet ensemble, c’est son esthétique. Créé par la compagnie Light Chaser Animation, basée à Pékin et considérée comme le Pixar chinois, le film revendique une identité culturelle propre. Les décors urbains, avec leurs inscriptions en chinois, portent la marque de l’industrialisation à la chinoise des années Mao et révèlent en creux un mode de vie qui diffère de celui des pays occidentaux du début du XXIe siècle, mais surtout la chromie et la finesse de la représentation du paysage nous projettent dans l’art chinois et offrent un dépaysement véritable. Les arbres en fleur déploient sur leurs tiges leurs délicats bouquets rosés mâtinés de blanc, les papillons volent, les oiseaux frétillent tandis que leur trilles s’élèvent dans l’air – pur, comme il se doit. Ces camaïeux de couleurs à la fois vives et tendres, toutes en roses et en bleus lumineux qui s’estompent dans l’atmosphère, cohabitent avec des rouges éclatants, des jaunes vifs et des teintes vibrantes, créant un ensemble très éloigné de notre esthétique. Ces teintes rappellent les estampes et les affiches qui ont essaimé l'Europe au moment du Grand Bond en avant et de la Révolution culturelle. Empruntant à l’art populaire chinois, elles encensaient les paysans et les travailleurs dans une atmosphère de paradis terrestre retrouvé.
Le parfum entêtant d’un ailleurs lointain – la référence à la Source aux fleurs de pêcher, un texte chinois qui conte l’histoire d’un pêcheur qui découvre une vallée coupée du monde, une terre d’éden où les hommes coulent des jours paisibles – se mêle à une préoccupation très occidentale qui valorise la soif d’aventure individuelle du chaton. Décider de sa trajectoire, poursuivre sa propre quête pour donner un sens à sa vie – fût-elle imparfaite et soumise aux aléas de toute sorte – correspond à la conception de l’existence et de la liberté humaine de la société où nous vivons. Entre Orient et Occident, hybridation et syncrétisme sont peut-être les deux mamelles du dessin animé de demain.
Oscar et le monde des chats. Dessin animé de Gary Wang – 2018.
Scénario : Gary Wang
Direction de l’animation : Amp Wong, Li Chao, Leo Xie
Direction des effets spéciaux : Yang Xiaooi
Direction artistique des personnages : Cui Yuemei
Décors : Gao Ranyu
Avec les voix en français de : Jean-Micel Vovk (Léon), Charlie Langendries (Oscar), Ioanna Gkizas (Kiwi), Franck Dacquin (Marcel).
Sortie en salles : 12 décembre 2018