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Arts-chipels.fr

Valjean. Les Misérables en une heure et quart, c’est gonflé

Valjean. Les Misérables en une heure et quart, c’est gonflé

Pari réussi pour Christophe Delessart qui utilise le mode de la confession intime pour nous raconter l’histoire, que chacun conserve dans un coin de sa mémoire, de cet ancien bagnard devenu honnête homme, dans la société en crise du premier tiers du XIXe siècle.

Les Misérables ont enchanté notre enfance. Le cinéma s’en est à mainte reprise emparé et nombre de grands comédiens se sont glissés dans la peau de Jean Valjean, Harry Baur, Jean Gabin, Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo et Gérard Depardieu entre autres. Christophe Delessart en propose une vision intimiste et habitée, faisant résonner les mots de cette langue si caractéristique d’Hugo, faite d’emphase et de lyrisme pétris d’authenticité tout autant que d’habileté littéraire.

Une fable universellement connue

Les Misérables ont fait le tour du monde, en particulier à travers le cinéma. Ils ont bercé des générations de jeunes lecteurs séduits par l’aventure hors du commun de cet ancien forçat et de ceux qui l’ont entouré : les noirs Thénardier, Javert le policier obstiné et rigide, Cosette l’enfant-martyre, Gavroche le gamin de Paris miséreux et débrouillard. Ils se sont attendris devant l’histoire de celui qui, pour avoir volé un pain pour nourrir sa famille fut condamné à vingt ans de bagne, ne cessa de s’évader et fut poursuivi sans relâche, après même qu’il fut devenu honnête homme, soucieux de faire le bien. Les épisodes de ce parcours hors du commun reviennent en force : le vol de l’argenterie à l’évêque de Digne qui lui remet en plus deux chandeliers d’argent, l’épisode du petit Savoyard, la rencontre de Valjean avec Fantine, la mère de Cosette et son irruption chez les Thénardier… De Jean Valjean à Monsieur Madeleine puis au père Fauchelevent, la vie de Jean Valjean n’est qu’une suite de péripéties romanesques dans lesquelles se dessine la vision profondément humaniste et sociale d’Hugo.

© Laetitia Piccarreta

© Laetitia Piccarreta

Une adaptation intimiste

Christophe Delessart choisit de faire du livre une symphonie pour un homme seul. Jean Valjean, au soir de sa vie, séparé de Cosette qui a épousé l’homme dont il a sauvé la vie, Marius de Pommercy, confesse une vérité qu’il a celée de longues années durant. Il nous livre, des facettes de l’homme Hugo, une vision profondément humaine. Au-delà de l’écrivain à succès apparaît l’homme qu’il n’a jamais cessé d’être, le pair de France devenu proscrit, l’exilé politique de Guernesey où il écrira, entre autres, les Misérables, l’homme de tous les combats pour la dignité humaine, le défenseur des pauvres gens, celui qui plaidera, à contrecourant de son époque, l’amnistie des Communards dans les années 1870. Le chef de file des romantiques n’est pas, sur le fond, très différent de tous ces écrivains engagés dans la cause sociale, tels Lamartine ou George Sand, mais il s’investit avec toute sa superbe hugolienne, son verbe haut et lyrique, sa force de tribun et de chef de file. Les Misérables, qui empruntent les voies du roman populaire à rebondissements incessants, n’hésitant pas à faire pleurer Lisette, incarnent aussi la vision sociale du père Hugo, sa profonde compassion. Il rejoint en cela le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier, paru sous l’Ancien Régime, et les Mystères de Paris d’Eugène Sue (1842-1843) qui suscitèrent un engouement sans précédent dans la population parisienne, dévorés épisode après épisode à chacune des parutions du feuilleton. À travers Jean Valjean, Hugo défend une thèse qui va au-delà de la dénonciation des travers de la société. Monsieur Madeleine est un patron compréhensif, soucieux du bien-être de ses administrés. Quant au personnage complexe de Valjean, il montre que si la misère est la mère de tous les vices, la source de bien des turpitudes, la rédemption est possible. Hugo ne boit plus comme à ses débuts le sang de ses victimes dans le crâne des morts (Han d’Islande). Il est devenu plus humain, républicain convaincu  après avoir débuté monarchiste, montant à l’assaut de tous les cléricalismes, portant sur l’enfance de Cosette ou le dénuement insouciant de Gavroche un regard attendri, chantre d’une vision sociale où l’éducation des enfants constitue un moyen de les sortir de la misère.

On sent dans l’interprétation de Christophe Delessart une profonde empathie avec le personnage qu’il interprète et une émotion qui touche le spectateur.

© Laetitia Piccarreta

© Laetitia Piccarreta

Hugo dans la langue de Shakespeare ?

Yes, my dear ! Il ne suffisait pas à Christophe Delessart de nous livrer son amour pour Valjean. La situation dépeinte dans les Misérables, barricades mises à part, aurait pu être traitée par l’un de ses contemporains Outre-Manche, Charles Dickens. Alors, pourquoi ne pas traduire ce texte en anglais et le dire dans la langue de Shakespeare ? Avec un accent très « Frenchie » qu’écarterait dédaigneusement une ligue de pureté de la langue anglaise, notre adaptateur-comédien se lance sans hésiter, assimilant cette belle traduction pour la porter plus d’une heure durant. Une performance pour un acteur français qu’on se doit de souligner, même si Oxford et Cambridge y trouveraient à redire question prononciation.

Mais que ce soit en anglais comme en français, l’émotion passe, le texte demeure, bloc de granit gravé pour l’éternité. Et le message d’humanité, d’amour et de pardon qu’il distille demeure plus que jamais actuel.

Valjean, d’après les Misérables de Victor Hugo

Traduction en anglais : Perrine Millot

Adaptation et interprétation : Christophe Delessart

Mise en scène : Elsa Saladin

Du 23 août 2018 au 20 janvier 2019

Jeudi et samedi (en français), vendredi (en anglais) à 19h30

Théâtre Essaïon – 6, rue Pierre-au-Lard – 75004 Paris

Tél. 01 42 78 46 42. Site : www.essaion-theatre.com

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