25 Avril 2018
Que veut dire être mère ? De quoi la maternité est-elle l’enjeu, qu’est-ce qui se joue derrière elle ? Michelle Brûlé nous propulse dans un tourbillon de paroles, d’époques et de questions, autour d’une même interrogation sur le lien mère-fille.
C’est avec la mère des mères, une femme de cent vingt ans, créatrice monstrueuse, insatiable génitrice, et pour tout décor un grand totem de bois et une chaise, que débute la pièce. Dans un chaos semi-halluciné elle attend impatiemment la naissance de son futur marmot, ou plutôt son expulsion hors d’elle, et se propose, grâce à une procréation publiquement assistée, de le remettre, sans tarder, aux mains de la société.
Cinq générations de femmes pour dire la maternité
Nous sommes alors propulsés dans une première expédition, visant à évaluer si le but de la maternité serait d’alimenter la société, et à quelle société elle correspondrait. Une autre mère, d’une fille de dix-huit ans qui vient de quitter le foyer familial pour l’étranger, reprend alors la parole. C’est elle qui nous guidera tout au long de ce voyage exploratoire. En proie à un profond mal-être, elle tente de le dissimuler en se plongeant dans un délire poétique au cours duquel elle se demande dans quel monde elle laisse sa fille. Mais la voici qui remonte aussi dans le passé et donne la parole à son arrière-grand-mère, qui évolue dans un monde de croyances irrationnelles avec ses démons. Sachant sa propre vie menacée par son père en raison de sa grossesse illégitime, celle-ci, prise d’un accès de panique, a jeté son enfant dans les flots.
Si le monde moderne a évolué, vaut-il cependant mieux aujourd’hui ?, énonce l’actrice-auteure. Déchirée, pénétrée de douleur, dans une forme de chorégraphie infernale, elle dénonce en clown tragique la disparition de la poésie. Le vocabulaire est devenu fonctionnel et on emploie le terme de burn out plutôt que de parler d’état mélancolique quand on évoque la dépression. L’obsession pour la vie éternelle a brisé la possibilité du désir. Alors, dans ce contexte, faut-il vraiment continuer à faire des enfants ? Sortie de son état d’excitation cathartique, elle sombre dans une quasi apathie, pour enfin l’avouer : le départ de sa fille l’angoisse. Elle se sent disparaître en tant que mère, ne sait comment se redéfinir, trouver un sens à son existence. Elle s’inquiète aussi. Et si sa fille n’était pas assez armée pour affronter le monde ? Amour maternel, possessivité, désir de protection, angoisse de la séparation forment un tout indissociable.
Donner un sens à l’existence
Michelle Brûlé livre une interprétation pleine d’énergie de ce voyage agité. Elle nous fait traverser sans difficulté différentes époques, différents univers, incarne avec maîtrise l’ensemble de ses personnages, créant l’illusion qu’une multitude d’acteurs sont présents sur la scène. Elle nous fait vivre les tribulations qui marquent les étapes de la vie d’une mère. En donnant la parole à divers personnages féminins qui vont de l’allégorie maternelle, hors d’âge et du temps, à la jeune fille ultra-connectée au monde moderne, l’auteure montre l’universalité de la difficulté du lien filial et sa complexité. Elle fait entrer en résonance ses angoisses avec celles de sa mère en son temps, le poids de l’histoire familiale, et toujours le lancinant souci de s’assurer qu’on a bien élevé son enfant, qu’on lui a dit tout ce qu’il avait besoin de savoir, qu'on l'a bien préparé à la vie. Le spectateur est tenu en haleine. Partie de considérations presque politiques sur le statut de la maternité, la pièce dérive vers la charge mythique de la maternité parce qu’être mère, au-delà de toutes les contingences, c’est avant tout une permanence difficile, angoissante. Être mère, c’est « une tragédie, pas un drame ». Une tragédie puisqu’on ne pourra jamais être sûr d’avoir donné la meilleure éducation à son enfant, une tragédie puisque les enfants partiront toujours, loin, une tragédie puisqu’il y aura toujours un décalage intergénérationnel compliquant les relations, une tragédie pourtant pleine d’amour et de tendresse, mais une tragédie inscrite dès la première seconde et que les femmes jouent et rejouent à l’infini. Au travers de cette femme qui est toutes les femmes s’écrit l’histoire bouleversante d’une aventure unique, transmise de génération en génération depuis la nuit des temps, qui nous saisit et nous entraîne.
Au-delà des mères
Texte et Interprétation : Michelle Brûlé
Mise en scène : Chantal Deruaz
Scénographie et collaboration artistique : Denis Malbos
Contact/ 06 81 55 01 68/ michbrule@wanadoo.fr
Tournée d’été 2018
Du 6 au 29 Juillet à 14h 20 au théâtre AU BOUT LÀ-BAS, Avignon