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Arts-chipels.fr

La femme® n’existe pas. Quand une relecture de La Colonie de Marivaux renvoie au bikini et à la bombe atomique.

(c) Nathalie Beder

(c) Nathalie Beder

Choisir de mettre en scène une pièce de Marivaux où des femmes revendiquent de partager le pouvoir avec les hommes et la « relire » en la plaçant à l’aune du monde contemporain a tout du pari ambitieux mais risqué. C’est le challenge que relève le Théâtre variable n° 2.

La Colonie de Marivaux fait partie de ce cycle de trois pièces (avec l’Île des esclaves, entre autres) que l’auteur, pour des raisons évidentes en ce XVIIIe siècle où se défait la monarchie absolue du siècle précédent et où se diffuse la pensée des Lumières, déplace hors de la société de son temps. Quel lieu mieux qu’une île isolée du monde peut servir de laboratoire aux idées contestataires qui hantent l’esprit du temps ? L’Île des esclaves révélait les aspirations populaires à secouer le joug du pouvoir, la Colonie salue l’émergence d’un premier féminisme, la revendication, pour les femmes, d’une égalité de droits avec les hommes. Dans l’un comme dans l’autre cas – nécessité d’un temps encore très contrôlé par la police où pèse la censure, ou vision critique de Marivaux face aux velléités d’innovation de la société ? – les tentatives tournent court et la société retrouve son cours initial, mais dans l’intervalle chacun aura compris les bienfaits de ne rien changer ou si peu de choses…

Réactualisation-modernisation

Pas de costumes à frou-frou, de robes à cerceaux, de rubans et de dentelles dans ce spectacle. Point de petits marquis précieux aux souliers brodés, mais les vêtements fatigués d’exilés d’après-guerre, qui pourraient tout aussi bien s’accorder aux années 1960, des hommes et des femmes réduits au quasi dénuement. Une paire de boucles d’oreilles, des chaussures à talons, vestiges d’un chic révolu, ou encore un parler plus choisi disent la différence sociale entre l’aristocrate et la boutiquière avec laquelle, dans un grand élan, revendicatif, la première s’allie pour se lancer à la conquête des droits des femmes. Lorsque le texte de Marivaux s’installe dans le déroulement du spectacle, c’est à la tribune, au cours d’un meeting, avec des banderoles et des slogans qui formeront un décor très contemporain. Nous naviguons dans notre temps et ces femmes sont emblématiques. Elles sont telles que les montre Marivaux, ne parviennent pas à surmonter l’opposition des classes auxquelles elles appartiennent et leurs divisions les ramèneront vers le statu quo, et en même temps elles nous parlent de nous, des rebuffades que les femmes essuient, aujourd’hui, dans cette différenciation des genres.

La femme® n’existe pas. Quand une relecture de La Colonie de Marivaux renvoie au bikini et à la bombe atomique.

La logique des analogies entre passé et présent

Le texte de Marivaux court tout au long de la pièce, mais il s’émaille, s’habille, s’installe dans notre monde. Afin que nul n’en ignore, le spectacle débute par une longue incursion dans l’histoire de notre temps. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, onze mois après Hiroshima et Nagasaki, les Américains – pour tuer la guerre par la destruction massive ?  –  font exploser une bombe atomique sur l’atoll de Bikini. Pour ce faire, ils ont vidé l’atoll de ses habitants et ont convaincu ces derniers qu’ils œuvraient au bienfait de l’humanité, les transformant en parties prenantes de l’absurdité qu’on leur impose. Les Américains ont convoqué le ban et l’arrière-ban à cette célébration – filmée sous tous ses angles. Ironie de l’histoire : au même moment, un petit commerçant, qui tient une boutique de lingerie, invente le fameux deux-pièces qui « libère » la femme moderne : le « bikini », « première bombe anatomique » pour reprendre l’argument marketing choc qui salue son apparition. La bombe atomique, elle, est aux couleurs de Rita Hayworth, sex-symbol et icône du sex-appeal.

Impossible de se leurrer : la pièce qui nous est proposée mêle dans un même propos les erreurs du passé et celles que véhicule notre présent : les femmes et, plus généralement, la société se font les victimes consentantes et auto-assumées du système dans lequel elles évoluent. Les symboles qui les identifient se retournent contre elles, avec leur accord ou du moins leur passivité.

Hommes et femmes pris dans le grand jeu de l’inversion

Si la guerre des sexes, qui nous promène aussi du côté d’Aristophane et de ses grévistes féminines du sexe, occupe une place centrale, elle ne met pas face à face les hommes et les femmes mais oppose plutôt des types de comportement. La pièce, ici – et nous sommes bien dans la tradition de Marivaux qui affectionne le travesti, l’échappée belle hors des lois du genre pour en révéler l’inanité – nous montre des personnages masculins et féminins incarnés indifféremment par les deux sexes. Une manière d’interpréter un comportement, de le rendre visible puisque, justement, il y a interprétation. Une « lecture » qui met à distance et révèle dans le même temps. Une confusion réjouissante qui montre et dénonce.

Reste que l’articulation entre la pièce de Marivaux et la part contemporaine paraît à plusieurs reprises artificielle, que la juxtaposition, qui relève de l’analogie, entre passé et présent ne fonctionne pas toujours. Elle prête à confusion sur l’objectif même du spectacle. Dans cet entrelacs de pistes qui se croisent et s’échangent, on perd Marivaux, ou plutôt on se demande pourquoi avoir maintenu ce texte et ses contraintes pour lui faire dire, peut-être, ce qu’il ne dit pas. La proposition n’en est pas moins intéressante, et menée à rythme soutenu, sans temps mort.

La Femme® n’existe pas de Barbara Métais-Chastanier, librement inspiré de La Colonie de Marivaux

Mise en scène : Keti Irubatagoyena

Avec : Bruno Coulon, Jézabel d’Alexis, Nicolas Martel, Julie Moulier, Grace Seri

Du 1er au 10 mars 2018 (www.lechangeur.org) à L’Echangeur à Bagnolet (www.lechangeur.org)

Le 15 mars à Mains d’Œuvres – Saint-Ouen

Du 26 au 29 mars au Collectif 12 – Mantes-la-Jolie

Les 30 et 31 mars, Théâtre Louis-Aragon – Tremblay-en-France

Le 3 avril, Théâtre Daniel-Sorano – Toulouse

Le 4 avril, Théâtre Jules-Julien – Toulouse

Le 5 avril, Le Périscope – Nîmes

Le 10 avril, Scène nationale – Albi

Du 24 au 27 avril, Comédie Poitou-Charentes, Poitiers

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