2 Février 2018
Marc Bloch est un médiéviste bien connu dont les œuvres font aujourd’hui encore autorité. Son témoignage sur les événements qui ont accompagné la débâcle de 1940 offre une leçon d’histoire particulièrement pertinente au moment où ressurgissent les extrémismes, qui cessent d’être honteux pour s’étaler en place publique.
Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit nullement de relire en lui donnant un vernis actualisé la parole de cet historien d’origine juive mais d’en rendre compte, le plus fidèlement possible, en laissant au spectateur la liberté d’en tirer l’enseignement qu’il souhaite et de déterminer par lui-même les prolongements en matière de réflexion qu’elle ne peut manquer de susciter. Le texte, rédigé de juillet à septembre 1940 et caché, pour le préserver par un ami de Bloch durant la guerre, est publié par les soins du mouvement « Francs-Tireurs » en 1946, Bloch, devenu résistant, ayant été exécuté par la Gestapo en juin 1944.Composé de trois parties, « Présentation du témoin », « La déposition du vaincu » et « Examen de conscience d’un Français », il donne une lecture particulièrement clairvoyante et juste des raisons de la défaite de la France en 1940.
L’historien témoin de l’Histoire
Dans un décor qui dit le temps passé, un siège, une table, une lampe ancienne d’un côté de la scène, ce qui ressemble à une barre de tribunal de l’autre, un homme parle. On le sent habitué à dire, et à être écouté. Il est posé, articule clairement, parle une belle langue classique. Réservé, sans effet de manches ni d’excès de langage, il dit, et sa parole n’en acquiert que plus de force. Il raconte son histoire, celle d’un Français d’origine juive, complètement intégré et de culture française, qui a pour son pays l’amour que tout Français lui porte. La judéité n’a pour lui d’autre réalité que lorsqu’il est confronté à des antisémites. C’est à ce moment seulement qu’il revendique son origine. Il a fait les deux guerres. Mobilisé en 1914 et devenu capitaine, il entame la Seconde Guerre mondiale dans l’état-major, chargé de l’approvisionnement en carburant des armées. Sur le plan universitaire, il est déjà une sommité, ce qui lui vaudra, malgré la privation de sa nationalité par Vichy, de conserver un poste à l’Université de Strasbourg exilée à Clermont-Ferrand.
L’histoire d’une débâcle
Avec une acuité exceptionnelle, Marc Bloch analyse les raisons de la défaite de la France. Erreurs tactiques – le renforcement de la ligne Maginot quand les Allemands passeront par la Belgique, ce qui vaudra aux forces françaises de se trouver prises à revers –, absence de vision quant à l’évolution des moyens stratégiques, en particulier au développement de l’aviation, – erreurs humaines – des généraux inadaptés à la guerre moderne, dépassés, soucieux de se sauver plus que de faire acte de tacticiens se mêlent de manière indissociable. Bloch montre comment les erreurs successives de management de la guerre et l’indécision concourent au laisser-aller et engendrent la panique qui aboutissent à l’effondrement final. Mais il affirme aussi sa conviction du caractère transitoire de cette sombre période, et la nécessité qu'il ressent d’écrire pour laisser un témoignage aux générations futures.
L’histoire, pour quoi dire ?
Créé pour la première fois en 2001 au musée Jean Moulin, présenté dans des établissements scolaires et des universités comme dans des théâtres, l’Étrange défaite, qui a reçu le soutien de Lucie et Raymond Aubrac et de François Jacob, s’inscrit dans le projet de Jean Quercy de produire un théâtre didactique qui ouvre la porte à la réflexion et au dialogue. Le texte de Marc Bloch s’inscrit admirablement dans ce projet. Il nous invite à réfléchir sur les rapports entre la pensée et l’action en montrant cet intellectuel de haut vol qui n’hésite pas à se battre, les armes à la main, dans l’armée d’abord, dans la clandestinité ensuite, pour la liberté, sans renoncer pour autant à ses capacités d’analyse. À notre époque de ventres mous, de frilosités sans consistance, de replis sur soi et d’individualismes forcenés, il nous raconte une histoire qu’il fait bon entendre.
L’Étrange défaite d’après l’œuvre éponyme de Marc Bloch (texte publié aux éditions Gallimard, collection Folio histoire)
Adaptation et mise en scène : Jean Quercy
Avec : Éric Auvray
Du 1er février au 12 avril 2018, les jeudis à 19h
Théâtre de Nesle – 8, rue de Nesle – 75006 Paris
Tél. 01 46 34 61 04. Site : www.theatredenesle.com