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Arts-chipels.fr

Rachel Kolly D’Alba et Christian Chamorel. Aimez-vous Lekeu et Strauss ?

Rachel Kolly D’Alba et Christian Chamorel. Aimez-vous Lekeu et Strauss ?

Lorsque deux artistes suisses se prennent de passion pour un jeune musicien très tôt disparu et s’intéressent à l’une des rares pièces de musique de chambre de Strauss, de forme sonate, on ne peut qu’applaudir des deux mains et se laisser porter par le romantisme qui émane, de manière très différente, de ces deux œuvres.

Connaissez-vous Guillaume Lekeu ? Ce compositeur passa comme un météore (1870-1894) dans le ciel musical et la sonate pour piano et violon qu’il nous a léguée fait regretter qu’il n’ait pas eu le loisir d’aller plus loin sur le chemin exigeant qu’il avait commencé d’emprunter. Cette œuvre d’un jeune homme de vingt-deux ans témoigne d’une maturité musicale exceptionnelle et nous fait mieux comprendre la demande du violoniste Eugène Ysaïe pour lequel elle fut composée. Située au tournant du siècle (1892), elle se fait le chantre d’un monde qui change et entre dans la modernité. Tourmentée, parfois fiévreuse, voire rageuse, elle comporte des moments d’intense mélancolie, de tristesse inguérissable, se muant dans le deuxième mouvement en une plainte infinie qui ne peut laisser indifférent. On découvre un paysage contrasté, à la frontière de la musique classique et d’un XXe siècle qui entame son parcours de rupture, mais déjà résolument tourné vers le futur. Si l’on conserve par endroits un sentiment d’inachèvement qui traîne comme une faible trace, très légère, comme un désir de trop dire qui accumulerait son trop-plein dans la musique, on ne peut que se laisser séduire par la force que charrie cette musique, par la richesse chromatique, parfois surprenante, du propos, par sa diversité, par la puissance d’invention de ce tout jeune homme et par la maturité qui s’exprime dans cette œuvre. Une vraie découverte.

L’enfance d’un maître

Strauss, en regard, paraît classique, tout imprégné qu’il est, dans cette œuvre de jeunesse quasi contemporaine de celle de Lekeu, de Beethoven et de Mendelssohn – la sonate de Strauss est antérieure de quelques années seulement à celle Lekeu. Œuvre, elle aussi, d’un très jeune homme, elle révèle une maîtrise déjà affirmée de la composition. Déclaration d’amour à celle qui deviendra sa femme, elle oppose au sombre et grave Lekeu sa légèreté rayonnante. Toute en volutes s’élevant joyeusement vers le ciel, tournant sur eux-mêmes jusqu’au vertige, elle est douce, mélodieuse, majestueuse parfois, en crescendos et en decrescendos non exempts d’une certaine urgence. Le mouvement se fait tourbillonnant sans cesse, reprenant encore et encore les mêmes thèmes, les ornant et les brodant à l’infini. De cette dentelle émerge tout à la fois une grande douceur et la volonté affirmée de mettre au grand jour un savoir-faire destiné à séduire l’élue. C’est une démonstration de sa maîtrise à laquelle nous convie, presque sans y toucher, le compositeur. C’est aussi la dernière composition de musique de chambre que Strauss proposera. Comme si elle mettait un point final à la phase d’apprentissage qui le portera ensuite vers les compositions orchestrales, comme si elle témoignait d’un premier état d’aboutissement de l’écriture.

Entre les deux sonates, entre les deux lyrismes, le cœur balance : harmonie ou modernisme ? Pour ma part, quoique moins « finie », j’ai préféré la sonate de Lekeu. Sa musique nous interpelle peut-être plus fortement aujourd’hui, pour sa nécessité et son urgence plus grandes, pour sa volonté affirmée d’innovation aussi. Les interprètes, passionnés l’un comme l’autre, ont su nous faire partager l’incroyable énergie qui émane de ces musiques, nous faire vivre les ruptures de ton lorsqu’elles surgissaient au détour d’une phrase, nous entraîner dans le mouvement de ces musiques qui ne peuvent laisser indifférent.

Richard Strauss, Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur (1886-1888)

Guillaume Lekeu, sonate pour violon et piano (1892)

Rachel Kolly d’Alba (violon), Christian Chamorel (piano)

24 octobre 2017, Goethe Institut – 17 avenue d’Iéna – 75016 Paris

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