29 Octobre 2017
Cette pièce est écrite comme un journal qui raconte, nuit après nuit, l’histoire étrange d’une femme, Shiori qui travaille dans une Maison de sommeil à Tokyo.
Cette maison du sommeil est un endroit à part, où les clients payent pour dormir accompagnés par une jeune femme. On ne les touche pas, elles sont là juste pour les accompagner au moment de l’endormissement, puis les surveiller pendant leur sommeil. Pourtant, rien n’est aussi simple car chacun traîne son fardeau et ses faiblesses, parce que la nuit permet tous les fantasmes et que le sommeil est un moment de fragilité qui révèle bien des noirceurs. L’histoire commence le 1er décembre, il neige et se termine le jour de Noel.
Shiori est une femme à la dérive, tout comme ses clients. Elle surveille leur sommeil peuplé de fantasmes, et de souffrance avec sa propre souffrance. Elle comble leur solitude avec sa propre solitude. C’est un drame contemporain, c’est si banal désormais d’être seul dans la multitude des villes- monde contemporaines. Elle meurt le soir de Noël comme la petite marchande d’allumette de mon enfance, elle n’est pas désespérée juste fatiguée, fatiguée de vivre, fatiguée de porter son fardeau, fatiguée de porter le fardeau des autres. Les autres qui eux aussi sont perdus, en tant que père, en tant que fils, en tant qu’homme. C’est un drame sur la modernité et les difficultés de chacun à trouver sa place.
La mise en scène de Arturo Armone Caruso en fait un conte onirique, un rêve éveillé, fragile et poétique, tout comme l’interprétation magnifique de la comédienne franco-japonais Azuki. qui évolue sur scène avec une grâce si fragile et tenue que l’on pense à chaque instant qu’elle va disparaître et retourner dans les limbes.
Azuki fait une merveilleuse synthèse de ses deux cultures, française et japonaise, en alliant la gestuelle du théâtre japonais NÔ et de la danse Butō avec la liberté du théâtre contemporain moderne. Ce mélange incroyable fonctionne magnifiquement bien dans ce spectacle. J’ai été fascinée tout le long du spectacle par le mouvement de ses pieds. Elle a des pieds sculpturaux, selon les critères grecs et elle marche systématiquement en parlant avec un rythme très lent en décomposant les mouvements, inspiration Butö bien évidement, qui lui donne une grâce et une irréalité tout à fait onirique.
La troisième composante du spectacle est la chanteuse, musicienne sicilienne Maria Fausta Rizzo qui accompagne la comédienne sur scène en interprétant au violon, piano et chant les compositions qu’elle a créées spécialement pour la pièce. L'ambiance est rock. "Doll is mine", le titre de la pièce reprend celui d’une chanson du groupe de rock italien Blonde Redhead, citée dans le texte. Maria Fausta Rizzo chante avec une voix grave et chaude, enveloppante qui contraste avec la fragilité évanescente de Azuki. D’ailleurs c’est ce mélange impossible qui fonctionne, les opposés se complétant.
Arturo Armone Caruso parle de la génèse de ce spectacle avec cette image « c’est la rencontre de trois volcans et de deux insularités. » Trois volcans parce que lui c’est le Vésuve, Naple, Fausta c’est l’Etna, la Sicile et Azuki c’est le mont Fuji, Tokyo, le volcan iconique du Japon.
Le décor créé par Lisa Armone Caruso symbolise la chambre où toutes les nuits Shiori surveille le sommeil de ses clients comme un ange gardien. Il est très sobre, à la japonaise. un bouquet de fleurs, une théière un lit jonché de petits papiers blancs découpés.
Les costumes sont de Marie France Argentino.
Au théâtre de Nesle
Du 5octobre au 12 novembre 2017.
du jeudi au dimanche 21H.