22 Octobre 2024
Les contes de fées qui ont bercé les enfances de petites filles en mal de prince charmant ne sont pas des histoires innocentes ou prétendues telles. Hélène Soulié et Marie Dilasser, dans leur « relecture » de Peau d’âne, mettent à nu de manière réjouissante, dans une vision contemporaine, ce qu’il faut en faire aujourd’hui.
C’est dans un décor résolument non réaliste que commence l’histoire de la petite fille qui deviendra Peau d’âne. Les rayures des murs y prennent une allure penchée quand la situation ne va plus du tout, les accessoires entrent et sortent, s’ouvrent et se ferment tout seuls, mus par leur énergie propre. C’est dans une famille parfaite – un papa et une maman qui l’aiment – que grandit la fillette, en compagnie de son âne en peluche devenu ânesse : Monique Bergamote. Mais voici qu’un beau soir maman se fait la malle et que l’enfant reste seule avec son papa.
Une description de l’inceste qui parle à tous à mots couverts
Sous les yeux rendus aveugles de l’entourage – les œufs d’autruche s’accumulent dans le décor parfait de la maison – commence une danse de séduction dont on connaît aujourd’hui les formes, les tenants et les aboutissants : le ressort puissant de l’affection mis en place pour convaincre l’enfant ; le secret qu’on ne partage qu’à deux ; la menace, parfois ; le mal-être de l’enfant qui emmagasine en silence cette charge dont les répercussions se font sentir dans son comportement quotidien. Il lui faudra sortir de cette spirale infernale pour finalement mettre un mot – inceste – sur ce viol subi en silence durant parfois de longues années. On rappellera pour mémoire que la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles subies par les enfants (CIIVISE) évalue à 160 000 le nombre d’enfants victimes d’agressions sexuelles chaque année et qu’un Français sur dix confie avoir été victime d’inceste.
Une galerie de personnages significatifs et hautement symboliques
Quelques personnages gravitent autour du trio familial. On y trouvera mêlés des personnages hérités du réel et des personnages de contes. Il y a d’abord la voisine, qui s’occupe de l’enfant en l’absence du père et finit par concevoir des soupçons, l'écrivain qui donne quitus, pour raisons littéraires, à la dérive du père, les médecins et psychologues qui mettront au jour la réalité de l’inceste, le juge dubitatif qu’il faudra convaincre. À l’autre bout, il y a ces amis que la petite fille se crée dans sa tête ou que l’imaginaire des autrices réinvente et détourne : l’ânesse qui, de peluche inanimée, prend vie et devient garçon et trans ; et l’autre personnage emblématique des contes de Perrault qu’est la princesse endormie, sortie selon le conte de son long sommeil par un beau prince – avec qui elle se marie et fait beaucoup d’enfants. Comme l’âne qui quitte le statut de peluche pour s’incarner et faire son coming out, la belle au bois dormant s’insurge : contre ces humains qui tuent la nature ; contre ce prince « charmant » censée la réveiller alors qu’elle ne veut pas voir ce que les hommes infligent aux forêts et qu’en plus, elle n’a pas besoin d’être prise en charge.
Pour en finir avec les poncifs rétrogrades
Dans le ballet déjanté qu’interprètent les personnages, résolument croqués de manière non réaliste avec un humour ravageur, le message n’est pas moins clair. Si les parents doivent prendre conscience des répercussions de leurs actes sur leurs enfants, il appartient aux enfants d’oser dire et, comme la petite fille, de s’insurger, même si le prix est lourd à payer. Peau d’âne, pour naïve qu’elle est, n’en est pas moins volontaire en s’enfuyant de la maison, puis en témoignant devant les tribunaux. Et Freud peut aller se rhabiller avec sa théorie de la perversité enfantine qui masquerait un désir incestueux, tout comme l’idée d’un mensonge punitif que l’enfant exercerait contre son géniteur. L’ajout, pour faire bonne mesure, des modèles alternatifs de l’âne et de la dénonciation « verte » de la Belle complètent un tableau très politiquement correct et dans l’air du temps qui s'adresse aux grands aussi bien qu'aux petits. Quant à l’auto tamponneuse dans laquelle les révolutionnaires en herbe déboulent sur la scène pour percuter sans complexe le vieux monde, elle est plus qu’une image : c’est l’affirmation d’une nécessité…
Peau d’âne ou La fête est finie
S Conception et mise en scène Hélène Soulié S Texte Marie Dilasser en collaboration avec Hélène Soulié (publié aux Éditions Les solitaires intempestifs) S Assistanat à la mise en scène Chloé Bégou S Avec Lorry Hardel, Claire Engel, Lenka Luptakova, Nathan Jousni, Fanny Kervarec, Julien Testard S Scénographie Emmanuelle Debeusscher, Hélène Soulié S Création vidéo Maïa Fastinger S Création lumières Juliette Besançon S Composition musicale Jean-Christophe Sirven S Création costumes Marie-Frédérique Fillion S Perruque et maquillage Marie-Frédérique Fillion, Jean Ritz S Régie lumière – vidéo Fanny Lacour, Émilie Fau S Régie son – vidéo Guillaume Blanc S Régie plateau Emmanuelle Debeusscher, Marion Koechlin S Régie générale Marion Koechlin S Direction des productions Valérie Teboulle S Production Cie EXIT S Coproductions et partenaires Théâtre Nouvelle Génération – CDN Lyon ; Le Parvis Scène nationale Tarbes – Pyrénées ; Scène nationale du Sud Aquitain – Bayonne ; Théâtre Jean Vilar – Montpellier ; Domaine d’O – Montpellier ; Communauté de communes du Mont-Saint-Michel ; Saison Culturelle Cazals-Salviac ; La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle – Villeneuve les Avignon ; Théâtre du hangar – ENSAD – Montpellier S Soutiens Ministère de la culture / DRAC Occitanie (au titre des compagnies conventionnées) ; Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée ; Direction Générale de la Création Artistique (Compagnonnage autrice et Fond de production) ; Ville de Montpellier ; Montpellier Agglomération Métropole ; Département de l’Hérault ; Le Fonds SACD Musique de scène ; FONPEPS ; SPEDIDAM ; ADAMI ; L’atelier des auteur·rices du Théâtre des treize vents – CDN de Montpellier ; Dispositif d'insertion de l'école du TNB ; Fond d'insertion pour jeunes comédien·nes de l'ESAD – PSPBB S Durée 1h20 S Dès 10 ans
Du 14 au 22 octobre. Lun. 14 à 14h30 & 20h, mar. 15 et ven. 18 à 10h & 14h30, jJeu. 17 à 14h30, sam. 19 à 18h, dim. 20 à 17h, lun. 21 & mar. 22 à 15h
Théâtre public de Montreuil, Salle Jean-Pierre Vernant, 10 place Jean-Jaurès – 93100 Montreuil
Billetterie 01 48 70 48 90
TOURNÉE
Du 14 octobre au 22 octobre 2024 TPM, CDN, Montreuil (93)
Du 27 au 29 novembre 2024 Théâtre de Lorient, CDN (56)
Du 22 au 25 janvier 2025 MC93, Bobigny (93)
Du 22 au 25 mai 2025 Théâtre Nouvelle Génération, CDN, Lyon (69)