16 Juin 2024
Jean-Robert Charrier reprogramme dans son théâtre historique de la Porte Saint Martin ce spectacle de Joël Pommerat créé aux Ateliers Berthier il y a plus de dix ans et qui fit date.
Des comédiens de cette aventure, Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Jean-Robert Charrier souligne la qualité et le pouvoir qu’ils ont de fasciner, en même qu’il rappelle que « Joël Pommerat et son équipe de créateurs sont d’infatigables héros du théâtre contemporain et qu’on a tellement de chance de les connaître. » Conçu à l’origine dans un dispositif bi-frontal, le spectacle a été adapté par Joël Pommerat au théâtre à l’italienne, avec l’aide d’Éric Soyer qui a retravaillé avec une grande réussite la scénographie et les lumières pour le vaste plateau de ce théâtre.
La ronde des sentiments, dans la lignée de Schnitzler
On se souvient de l’absence assumée d’unité narrative de cette pèce, composée de vingt fragments d’un discours amoureux qui, sous la forme de situations concrètes, abordait la mythologie de l’amour, la complexité des liens humains, des affections, l’obsession du manque, les pulsions, la rupture. Construite sur le modèle de la Ronde d’Arthur Schnitzler, qui mettait en scène les jeux de séduction et de pouvoir, des préliminaires à la fin du tête-à-tête, en courtes séquences où apparaissaient des partenaires successifs, la pièce associe des hommes et des femmes, en couple, en trio ou plus. Autonomes d’un point de vue dramatique, les séquences sont interdépendantes du point de vue thématique, alternant mouvements d’union, fantasmes, quiproquos, marchandages et ruptures.
La Réunification des deux Corée, un titre énigmatique que la pièce éclaire
La référence aux deux Corée suggérait l’existence de deux moitiés « qui s’étaient perdues et qui se retrouvaient » ou encore les retrouvailles de familles séparées. Parmi les vingt fragments de vie explorant les douleurs de l’amour, une scène particulièrement bouleversante donne une explication au titre de la pièce. Un homme rend chaque jour visite à sa femme atteinte de démence et d’amnésie ; et chaque jour, il tente d’entretenir cette flamme qui s’éteint peu à peu, cet amour indéfectible, il marche avec elle et lui parle.
LA FEMME : « C'est quoi un couple ordinaire ? »
L'HOMME : « Ben, c'est des gens ordinaires qui se marient ».
LA FEMME (déçue) : « Ah bon ».
L'HOMME (s'arrêtant, regardant sa femme dans les yeux, explosant) : « Mais non, quand on s'est rencontrés c'était parfait. On était comme deux moitiés qui s'étaient perdues et qui se retrouvaient. C'était merveilleux. C'était comme si la Corée du Nord et la Corée du Sud ouvraient leurs frontières et se réunifiaient et que les gens qui avaient été empêchés de se voir pendant des années se retrouvaient. C'était la fête, on sentait qu'on était reliés et que ça remontait à très loin. »
De la bi-frontalité à la scène à l’italienne
Alors que la mise en scène d’origine organisait l’espace théâtral en un long couloir où apparaissaient et disparaissaient, au fil de la succession des séquences, les comédiens, leur rassemblement sur un plateau plus « ramassé » rend le discours plus clair, cette radiographie des passions de tout temps plus facilement accessible. On se rappelle ainsi que le théâtre qui marque la mémoire et déclenche de l’émotion peut être extrêmement simple ; un texte signifiant et fort, des comédiens à l’acmé de leur art, une lumière tranchante qui découpe l’espace et rend crédible chacun des tableaux qui se succèdent, sans projection vidéo ni lumière stroboscopique. Du théâtre pur et dur qui repose sur les situations décrites. Ici, l’amour et ses douleurs sont mis au jour par une communauté humaine fracturée qu’on ressent très proche de nous.
Pendant que la plupart des critiques de théâtre vont se réchauffer les os à Montpellier avant le Barnum d’Avignon et courent ainsi vers la nouveauté, il est bon de rester à Paris et de redécouvrir du vrai théâtre. Nous nous souviendrons longtemps de ces âmes perdues qui cheminent entre réalisme et humour dans cette reprise qui est un concentré d’intelligence théâtrale.
La Réunification des deux Corée
S Une création théâtrale de Joël Pommerat S Avec Saadia Bentaieb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu S Scénographie et lumière Eric Soyer S Vidéo Renaud Rubiano S Costumes Isabelle Deffin S Perruques Julie Poulain (2024) - Estelle Tolstoukine (2012) S Son Philippe Perrin (2024) - Francois Leymarie, Grégoire Leymarie (2012) S Musique originale Antonin Leymarie S Assistants à la mise en scène Garance Rivoal, Lucia Trotta, Pierre-Yves Le Borgne S Création le 17 janvier 2013 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, aux Ateliers Berthier S Production Odéon-Théâtre de l’Europe, Compagnie Louis Brouillard S Coproduction Théâtre National–Bruxelles, Folkteatern–Göteborg, Teatro Stabile di Napoli–Naples, Théâtre français du Centre national des Arts du Canada–Ottawa, Centre National de Création et de Diffusion Culturelles de Châteauvallon, la Filature Scène Nationale Mulhouse, les Théâtres de la Ville de Luxembourg, le Parapluie (Centre des arts de Rue–Aurillac) en collaboration avec Teatrul National Radu Stanca–Sibiu S Avec le soutien du Programme Culture de l’Union européenne, dans le cadre du projet Villes en scene/Cities on stage.Ce projet a été financé avec le soutien de la Commission Européenne S Reprise 2024 Production Compagnie Louis Brouillard, coproduction Théâtre de la Porte Saint-Martin, La Coursive – Scène Nationale de La Rochelle, Les Célestins, Théâtre de Lyon, L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège, L’Azimut -Pole national cirque d’Antony et de Chatenay-Malabry, Les Théâtres de Compiègne, le Théâtre de Suresnes Jean Vilar, La Comète - Scène nationale de Châlons-en-Champagne S La Compagnie Louis Brouillard reçoit le soutien du ministère de la Culture/DRAC Ile-de-France et de la Région Île-de-France S Joël Pommerat et la Compagnie Louis Brouillard sont associés à Nanterre-Amandiers, à la Coursive/Scène nationale de La Rochelle et au TNP/Théâtre National Populaire de Villeurbanne S Les textes de Joël Pommerat sont édités chez Actes Sud-Papiers S La Réunification des deux Corée a obtenu, lors de sa présentation en 2013, trois prix : Meilleur auteur (Prix Beaumarchais / Le Figaro), Meilleur spectacle public (Palmarès du Théâtre), Meilleure création d’une pièce en langue française (Syndicat de la critique) S À partir de 14 ans S Durée 1h50.
Théâtre de la Porte Saint-Martin - 18, bd Saint-Martin - 75010 Paris
Du 24 avril au 14 juillet 2024, du mer. au vend. 20h. Sam.20h30. Dim. 16h (sf 1er mai)
Rés. 01 42 08 00 32 www.portestmartin.com