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Arts-chipels.fr

Que sur toi se lamente le Tigre. Oratorio pour une jeune Irakienne qui avait rêvé d’être libre.

Que sur toi se lamente le Tigre. Oratorio pour une jeune Irakienne qui avait rêvé d’être libre.

Entre colère et désespérance, ce cri d’une jeune femme prisonnière du traditionalisme de sa communauté met au jour le caractère inextricable et dramatique du poids de ces coutumes.

Une forme fantomatique immense, entièrement voilée, est apparue au son du oud. Le voile s’élève, révélant la présence d’une jeune femme. Elle chante. Une lamentation dont on ne perçoit pas le sens mais qu’on reconnaît comme une plainte. Une balade sanglante qui lie le sort des femmes à ce liquide rouge qui imprègne la terre. Il marque leur naissance, leur accession au statut de femmes avec le premier sang, les enfantements auxquelles elles sont destinées. Il est aussi le signe de leur impureté, qu’il leur faudra masquer, l’enfance une fois enfouie, révolue. Elles devront se vêtir de noir et porter l'abaya, cacher leur chevelure, devenir invisibles. Tel est le destin des femmes qui se débattent dans la poussière, en Irak, quelque part sur les bords du Tigre. Elles ne se promèneront plus sur les bords du fleuve majestueux, ne regarderont plus le flot enfler et les jeunes gens s’ébattre dans les eaux.

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

Stabat filia. Celle par qui le malheur arrive

Dans la famille des femmes, il y a la mère, que des siècles de tradition ont modelée, réduite au silence et à l’obéissance. Et même si son mari est mort, c’est à son fils aîné que revient le pouvoir. Ce sont les hommes qui décident du sort des femmes, de leur mariage, du promis qu’on leur destine. La sœur aînée est rentrée dans le moule, même si elle a choisi l’homme qu’elle voulait épouser. Et puis, il y a la plus jeune, qui rue dans les brancards. Elle réclame le droit d’aimer, le droit de choisir celui près de qui elle passera sa vie. Alors elle dérogera à la règle, laissera l’amour et le désir prendre le pas sur la tradition, s’abandonnera dans les bras d’un jeune homme avant son départ à la guerre. Mais celui-ci mourra et la trace de la « faute » restera.

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

Une tradition inique

Dès lors il n’y a plus d’échappatoire. C’est à la famille de laver le péché, d’effacer celle qui a contrevenu aux règles, celle qui a voulu prendre du plaisir à vivre, de lui ôter la vie. Au fils aîné d’appliquer la sentence de mort, de sacrifier sa propre sœur. Comme dans un chœur antique, chacun des membres de la famille s’avance sur le devant de la scène. Chacun à son tour dira son refus personnel de la mise à mort, la douleur qu’il ressent mais en même temps l’impossibilité d’aller contre. Jeunes ou vieux, traditionalistes ou « libéraux », ils accompliront la sentence ou ne s’y opposeront pas. Parce que la société pèse de tout son poids et qu’il n’est pas seulement pensable de contrevenir aux lois du groupe.

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

Le choix du lyrisme et de la poésie

Si l’actualité nous livre le récit de situations proches ou analogues, des histoires de femmes défigurées, lapidées, mises à mort pour avoir dérogé aux commandements du chef de famille, de l’époux ou de la communauté, le spectacle s’éloigne du théâtre documentaire pour adopter un ton lyrique et poétique. Une voile gonflée par le vent renvoie aux flots tumultueux du fleuve qui entraînent la jeune fille vers son rêve de liberté, l’emportent vers un monde sans abaya, sans frustration, sans flétrissement précoce et où règne le droit d’aimer et de choisir sa vie. L’eau bienfaisante qui lui baigne sur scène doucement les pieds se chargera de scories et prendra des allures de champ de ruines lorsque surviendra l’inéluctable. Oud et percussions donnent sa couleur à un spectacle où le noir domine. Ils le rythment, l’accompagnent, parfois rejoints par le violon, le chant et la danse.

Ce qui traverse le spectacle de part en part, c’est la profonde humanité de ces comédiennes et de ces comédiens qui viennent, sur la scène, dénoncer la cruauté et l’absurdité des traditions dans lesquelles ils ont été moulés et plaider pour une autre vie. On les sent engagés au-delà du théâtre et leur émotion, le public la partage. Cri de colère et de révolte, Que sur toi se lamente le Tigre porte un message qu’on aimerait voir compris de tous ceux qui, en Irak mais aussi en Iran, en Afghanistan ou ailleurs, oppressent les femmes et portent, au nom de dogmes imbéciles, atteinte à la liberté d’être.

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

Que sur toi se lamente le Tigre. D’après le roman d’Emilienne Malfatto
S Adaptation et mise en scène Alexandre Zeff S Avec Lina El Arabi (La jeune fille), Nadhir El Arabi (Amir), Hillel Belabaci (Hassan), Amine Boudelaa (Ali), Afida Tahri (La mère), Mahmoud Vito (Mohammed), Myra Zbib (Baneen) S Musiciens Wassim Halal (percussions) et Grégory Dargent (oud) S À l’écran Liya Chtaiti (Layla) S Scénographie, lumières Benjamin Gabrié S Vidéo Nadia Nakhlé S Musique Grégory Dargent S Chorégraphie Mahmoud Vito S Assistanat à la mise en scène Agathe Vidal S Dramaturgie Pauline Donizeau S Collaboration artistique Claudia Dimier S Costumes Sylvette Dequest S Régie générale, lumières Thomas Cany S Régie Wilhelm Garcia-Messant, William Penanhoat S Production La Camara Oscura S Coproduction Théâtre de Choisy-le-Roi, l’EMC – Espace Marel Carmé –Saint-Michel-sur-Orge, Théâtre Romain Rolland – Villejuif S Avec le soutien de la DRAC Ile-de-France, la région Ile-de-France, le conseil départemental du Val-de-Marne, du Jeune théâtre national, de la Spedidam, de l’Adami S Coréalisation Théâtre de la Tempête S La Camara Oscura est conventionnée par la DRAC Ile-de-France S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et soutenu par la ville de Paris S Durée 1h20

Du 12 janvier au 11 février 2024. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Théâtre de la Tempête Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris
T. 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr

TOURNÉE

Le 8 mars 2024, Scène Watteau, Nogent-sur-Marne

Le 14 mars 2024, La Faïencerie, Creil

Le 22 mars 2024, Théâtre Romain Rolland, Villejuif

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