8 Mai 2024
Interprété avec une sensibilité touchante par Jacques Weber, Pascal Rambert s’attache au spectacle émouvant d’un vieil homme qui se retourne sur sa vie avant d’en finir.
Le décor parfaitement aseptisé d’une chambre d’hôtel de luxe. Mobilier design, d’une blancheur immaculée, comme la lumière des néons qui inonde la pièce. Nous sommes à Hong Kong, dans l’une de ces tours qui offrent des vertiges architecturaux, dans un temple de la modernité et de l’affairisme. L’homme qui vient d’entrer dans la pièce, un écrivain, s’y est rendu pour recevoir un prix, colifichet de cristal dont il n’a que faire. Débarrassé des mondanités obligées, il se retrouve face à lui-même et se livre à une introspection qu’il adresse à l’absente, la femme qu’il a aimée toute sa vie.
Un parcours en zigzag entre souvenirs d’hier et monde d’aujourd’hui
Réfugié dans cette chambre à l’écart du monde, entre bouteille de whisky et mini-flacons alcoolisés d’hôtel, il dialogue avec une photographie sous cette lumière intense, quasi chirurgicale, qui ne laisse rien caché. Il dit la perte de l’être aimé, les complicités partagées, la découverte du monde à deux, les passions pour la lecture, les disputes parfois, les oppositions. Il prend l’absente à témoin, lui raconte, avec la distance qu’ils ont toujours mise par rapport aux honneurs, les vaines cérémonies, les politesses obligées, les piques qu’il insère dans ses discours, et plus particulièrement ici, à Hong Kong, dans ce lieu à cheval entre deux mondes, celui de l’hypercapitalisme et de l’autocensure contrainte de la république « populaire » de Chine.
Au revers de la vie
Entre rasades d’alcool et pilules, il aborde le passé, l’absorption de la vie dans toutes ses extensions et par toutes ses extrémités, la drogue, les réveils des bouts de la nuit, les orages et les accalmies. Et plus le personnage s’enfonce entre vapeurs d’alcool et succédanés médicamenteux, plus il se détache du vernis soigneusement apposé aux yeux du monde, plus il ôte ses oripeaux chics comme on se dénude. Les chansons anciennes remontent à la surface, il retrouve le tournoiement de la danse. Il y a quelque chose de cruel et de tendre en même temps à faire jouer à Jacques Weber quelque chose qui lui ressemble sans être tout à fait lui – une démarche que Pascal Rambert affectionne et qui trouve un prolongement, avec d’autres comédiens, dans nombre de ses pièces –, un dedans-dehors où expérience vécue et expérience théâtrale se fondent l’une dans l’autre. Entre silences volontairement maintenus en suspension et élocution sans hâte qui fait rouler les mots dans la nécessité de dire, l’émotion est au rendez-vous de cette double et trouble liaison entre l’acteur et le personnage. Elle s’associe, comme on fait défiler sur l’écran des souvenirs une suite de flashs mémoriels, à un voyage douloureux dans un monde qui ne cesse d’être en crise et dont l’avenir ne semble pas radieux.
Ranger
S Texte, mise en scène Pascal Rambert S Avec Jacques Weber S Collaboration artistique Pauline Roussille S Création lumières Yves Godin Costumes Anaïs Romand Scénographie Pascal Rambert et Aliénor Durand S Production Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord S Coproduction Théâtre National de Bretagne ; Comédie de Béthune – Centre dramatique national Hauts-de-France ; production de structures ; Cercle des partenaires S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Du 31 mai au 29 juin 2024, mar.-sam. 20h, dim. 15 (sf sam. 11/06)
Aux Bouffes Parisiens