29 Septembre 2023
Quand la fin du monde est à nos portes, il y a ceux qui s’en sortent et les autres. Les vivants et les morts. Peut-on passer du monde des morts à celui des vivants ? Une comédie post-apocalyptique en forme de parabole sur l’air d’« on n’a que ce qu’on mérite ».
Des personnages sont rassemblés sur scène, au milieu de sacs épars, dans ce qui pourrait être un lieu abandonné, un terrain vague ou un espace en construction. On découvre progressivement leur histoire. Ils sont des réfugiés, isolés derrière les barricades qu’ils ont érigées pour se protéger de l’extérieur. Dehors c’est l’ennemi, le milieu hostile qu’ils ont fui. On est après l’apocalypse. Les morts-vivants sont à leur porte. Une masse grondante dénuée de langage qui s’approche inexorablement. Ils la guettent, la redoutent, la refoulent, mais jusqu’à quand ?
Une société en raccourci
Dans ce no-man’s-woman’s-land, dans ce bunker en plein air, ceux qui restent se sont réorganisés. Ils ont recréé en version réduite la société d’avant la catastrophe. À eux tous, ils forment une belle brochette, une galerie représentative. Il y a bien sûr le leader, celui qui sait ce qu’il faut pour les autres. Autour de lui gravitent, hommes et femmes mêlés, quelques figures emblématiques de la société : celle qui cadre, organise, rationalise, rentabilise ; le pratique, le bricoleur qui invente des machines aux airs de science-fiction très XIXe, à la Jules Verne, qui explore les directives et les met en pratique ; la participative qui voudrait faire appel à l’inventivité de chacun ; la timide, qui suit sans intervenir et ceux qui montent la garde. N’y manque pas même la psy, qui chemine entre tous ces egos pour lisser les rouages…
La figure de l’intrus
Cloîtrés dans leur périmètre de fortune, ils doivent s’organiser pour résister, devenir autosuffisants. Ils sont d’accord, bien sûr. Mais voilà, ce n’est pas si simple, parce que derrière, il faut bosser pour créer une nouvelle société, y mettre de la sueur et du sang, ce que tous ne sont pas prêts à faire. C’est le bazar sur leur planète en miniature. Le pompon, c’est l’arrivée de l’un des morts-vivants, qui franchit la fortification. Panique à bord ! Mais lorsque les réfugiés découvrent qu’on peut le dresser, sans qu’il s’insurge, pour effectuer les tâches dont personne ne veut, ils tiennent la solution. Clairvius – c’est ainsi qu’ils baptisent celui qui s’est introduit – travaillera pour eux.
La parabole des vivants et des morts
Les survivants, ils appartiennent à la classe des privilégiés, de ceux que la société protège, de ceux à qui elle dispense ses bienfaits. Ils sont l’élite, les happy few pour lesquels la technologie, le progrès, la démocratie sont faits. Ceux qui savent parler, ceux dont on comprend le langage. Face à eux, il y a les autres, ces zombies, ces morts-vivants qui leur font peur parce qu’ils sont nombreux et pourraient s’imposer et submerger leur monde. Des êtres sans personnalité et privés de parole. Une masse informe et silencieuse incapable de se faire entendre. Une populace fruste mais qui menace à tout moment de les envahir. C’est pourquoi ils ont peur, pourquoi ils bouchent les ouvertures, bloquent les entrées.
Au cœur de l’ascenseur social
En pénétrant dans l’autre monde, le mort-vivant est bien sûr l’exploité, celui dont on utilise la force brute pour contribuer au bien-être des autres. Mais le modèle social étant celui de la démocratie, les habitants de ce monde protégé vont avoir à cœur – toutes proportions gardées parce que chacun doit rester à sa place – d’éduquer celui qui a fait l’effort de se hisser jusqu’à eux, de lui faire partager leurs valeurs. L’élève profite bientôt si bien des leçons du maître, il va si bien intégrer les règles du jeu que, reniant ses origines et faisant siennes les valeurs qu’on lui a inculquées, il sera en mesure de se hisser au sommet. Devenu calife à la place du calife, il devra à son tour porter le flambeau d’une société qui, entretemps, a changé. Car l’ascenseur social est en panne…
La méritocratie dans l’œil du cyclone
Sur le mode de l’humour, de la charge comique et du schématisme, cette fable de la fin du monde raconte l’impasse de notre monde. Celle des nantis, des « blancs », celle d’un système qui a pu nous faire croire qu’il suffisait de vouloir pour pouvoir et qu’à la force du poignet on pouvait s’élever dans la hiérarchie. Les proverbes transmis par la « sagesse populaire » sont légion sur le sujet. « Chacun est traité selon son mérite », « Un homme de mérite qui tombe dans l’indigence sait se relever », « On n’a que ce qu’on mérite », « Le mérite est le plus sûr moyen d’arriver au but ». Le hiatus, et il est de taille, c’est que la réalité, appuyée sur les statistiques, dément l’adage. La question suivante, à laquelle la pièce, comme nous-mêmes, est bien en peine de répondre, pourrait être : « Alors, on fait quoi ? »
Les Méritants
S Texte et mise en scène Julien Guyomard S Avec Xavier Berlioz, Julien Cigana, Sol Espeche, Magaly Godenaire, Damien Houssier, Renaud Triffault, Élodie Vom Hofe S Collaboration dramaturgique Damien Houssier, Élodie Vom Hofe S Scénographie Camille Riquier S Lumières Alexandre Dujardin S Son Thomas Watteau S Costumes Benjamin Moreau S Production Scena Nostra S Coproduction Nanterre-Amandiers – CDN, le Théâtre Roger Barat, l’EMC – Saint-Michel-sur-Orge, le Nouveau Relax – scène conventionnée de Chaumont S Soutiens du PIVO – pôle Itinérant en Val d’Oise – scène conventionnée art en territoire, de la DRAC Ile-de-France S La compagnie Scena Nostra est soutenue par la région Ile-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et soutenu de la ville de Paris S Durée environ 2h
Du 22 sept. au 22 oct. 2023, du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30
Théâtre de la Tempête - Cartoucherie – Route du Champ-de-Manoeuvre 75012 Paris
www.la-tempete.fr T 01 43 28 36 36