À poils. Une réjouissante fantaisie déjantée pour tout-petits.

Reconstruire le monde à partir de rien, le recréer pour l’apprivoiser et provoquer la rencontre entre le monde de la petite enfance et celui des adultes, tel est le pari – réussi – de la pilosité envahissante de ce spectacle original et chaleureux.

Dans l'espace vide de la boîte noire du lieu du spectacle, les enfants sont accueillis par un roadie, un technicien de concert. Absorbé dans son activité, il pousse des caisses de matériel d’un coin à l’autre du plateau nu où les enfants ont été invités à entrer. Comme des intrus. Le technicien range, passe l'aspirateur, indifférent aux enfants qui ne semblent pas prévus dans son programme. Deux mondes, bien éloignés de toute « représentation » se télescopent. Des caisses roulent dans l'espace, deux autres techniciens, tout aussi inquiétants, bourrus et « pilosés » que le premier, apparaissent à leur tour. Un étrange ballet débute, martelé par les guitares électriques. Les caisses s'ouvrent, se déplient, crachent leur matériel pour construire le décor qui s’édifie à vue. Les enfants sont invités à participer au chantier de construction qui se met en place. Ils devront placer coussins et poufs au bon endroit avant de s’asseoir à l’ombre d’un arbre pour le moins singulier sous la conduite des trois rockers hirsutes. Bientôt ils s’approprieront les mots qui vont avec ce qui les entoure. Les mots qui nomment les choses.

40 minutes pour des métamorphoses

Au fur et à mesure, d'étranges poils surgissent sur les corps et la barbe de nos trois roadies dont la pilosité se fait envahissante, façon Dupond et Dupont dans Tintin au pays de l’or noir, puis c'est tout le décor qui se couvre d’une matière duveteuse et douce jusqu'au déploiement final d’une « poilosphère » où se retrouvent enfants et adultes, petits et grands et où toutes les tailles fraternisent. Dans cette performance scénographique, deux métamorphoses opèrent parallèlement. D'un côté les trois roadies, des hommes d’âge mûr, des dockers du rock, poilus, barbus, cloutés, tee-shirt noirs, loups hurlants tatoués, deviennent chaque minute un peu moins sur la réserve, un peu plus doux, amusés, conviviaux, jusqu'à chanter une chanson où les sonorités de la guitare électrique s’enrobent de suavité. Parallèlement, l'espace se transforme, du vide jusqu’au cocon velu, charnu, épais, gonflé, protecteur, et englobe les spectateurs et les acteurs. Il se resserre, s'adoucit, s'homogénéise, s'harmonise en direct et en temps réel.

Je t’apprivoise, tu m’apprivoises, on s’apprivoise mutuellement…

La métamorphose du lieu en univers poilu devient le prétexte à la rencontre entre acteurs et spectateurs. Tout se passe comme si, face à l’enfant, l’adulte retrouvait une bienveillance et une gentillesse qu’on lui croyait perdues, tandis que l’enfant pénétrait dans un univers punk qu’il s’appropriait. « C’est l’alchimie de la rencontre qui en opérant donne à l’adulte la faculté de se retourner comme une chaussette côté velours, proposant alors la guimauve à l’enfant (ce punk), affirme Alice Laloy. […] Le temps du spectacle devient le temps de l’expérience selon laquelle trois ogres – ou initialement perçus comme tels – révèlent leur face douce aux spectateurs. » Au rang des divines surprises qui unissent petits et grands dans un même ravissement, À poils est une expérience tout aussi séduisante qu’inattendue.

À Poils

S Écriture et mise en scène Alice Laloy S Avec Vladimir Barbera, Luca Fiorello et William Pelletier S Collaboration artistique Stéphanie Farison S Assistanat à la mise en scène Simon Élie-Galibert S Musiques Csaba Palotaï S Lumières Jean-Yves Courcoux S Scénographie Jane Joyet , assistée d' Alissa Maestracci S Costumes Alice Laloy, Mélanie Loisy, Maya-Lune Thieblemont & Anne Yarmola , assistée de Sara Clédé & Solveig De Reydet S Prothèses et perruques Maya-Lune Thieblemont S Teinture du crin Ysabel de Maisonneuve , assistée de Lisa Morice S Construction Benjamin Hautin S Régie générale, son, lumière, plateau Jean-Baptiste Leroux S A la construction du décor Quentin Tailly, Vivian Guillermin & Stéphane Uzan et l'équipe des mécheuses Mathilde Apert, Lëa Assous, Justine Baron, Romane Bricard, Inès Forgues, Léonie Garcia Lamolla, Charisté Monseigny, Lisa Morice, Fatima Sharmin, Maëlle Ubaldi & Emma Valquin S Production La Compagnie s'Appelle Reviens S Coproduction La Comédie de Colmar-CDN Grand Est Alsace, Le TJP-CDN Strasbourg Grand Est, Le Tandem - Scène Nationale Arras-Douai, Houdremont - Centre Culturel La Courneuve. La compagnie est subventionnée par la DRAC Hauts-de-France, la Région Hauts-de-France et la Communauté Urbaine de Dunkerque, avec le soutien du Département du Nord, la Ville de Dunkerque. Avec le soutien du Conseil Général de Seine-Saint Denis et la Ville de Strasbourg et le soutien pour l'accueil en résidence du Théâtre La Licorne à Dunkerque, du Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN, de la Ville de Pantin et du Théâtre de la Coupe d'Or S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national Création 2020 Le spectacle fut créé en 2021 avec Julien Joubert, Yann Nédélec et Dominique Renckel S À partir de 4 ans (Scolaires) et 3 ans (tout public) S Durée 40 minutes

TOURNÉE  :

N.-B.. L'article emprunte, pour une très grande partie, son contenu et sa rédaction à Alice Laloy, mais il est aussi issue d'une chronique réalisée lors de la présentation du spectacle au Festival Marmaille, à Rennes, en 2021. Sarah Franck