17 Juin 2023
Ce conte fantastique et musical, admirablement interprété, esquisse, entre réel et imaginaire, un paysage de variations sur l’emprise et la vampirisation.
Une femme, coiffée d’un serre-tête à oreilles de lapin, incongru et dérisoire, se dessine en contrejour devant une fenêtre haute et étroite qui évoque une meurtrière de château-fort et la protection qu’elle procure. Un non-lieu dans l’encadrement duquel passe la lumière de l’extérieur, et avec elle la mémoire de la narratrice. De meurtrière il s’agit bien, pas seulement architecturalement parlant, parce que la narratrice qui nous interpelle – on l’apprendra au fil du récit – est une femme vampire. À l’abri du soleil, dans cette pénombre parcimonieusement éclairée traversée à l’arrière par l’alternance des jours et des nuits, elle nous conte son histoire. Près d’elle, sur un banc, un musicien distribue quelques accords sur une guitare sèche qui s’enrichira des possibilités de l’électronique avec le temps. Quant au musicien, aussi chanteur, il se fera accompagnateur, commentateur et relais du récit.
Une histoire en miettes
C’est par bribes que se recompose ce qui pourrait constituer une histoire. Celle d’une femme seule larguée par la vie dans un monde où tous les jours se ressemblent. Puis vient le choc, matérialisé par un homme sans qualité qu’elle manque d’écraser. La rencontre devient fréquentation, se fait assidue, s’intensifie, engendre un état de demande de la femme et la dépendance. Et lorsque celle-ci découvre que son compagnon est un vampire, c’est consentante qu’elle se fait sa victime, quitte ce qui fait sa vie et entre dans le monde de la nuit, elle qui aime le soleil, pour devenir vampire à son tour, dévoreuse impénitente et infatigable errant dans l’obscurité à la recherche de ses victimes.
Un jeu minimaliste et inspiré
Les pieds ancrés au sol, comme pétrifiés, la comédienne ne bouge pas, ou si peu. Les doigts des mains rassemblés pour dire la tension qui l’habite, elle parle. À peine si, au fil du spectacle, elle finira par se dépouiller du long manteau qu’elle porte ou par déposer à terre ces ridicules oreilles de lapin – ou peut-être de chats puisqu’il sera question de chats écrasés. C’est sur son visage qu’on peut lire les émotions qui la traversent, à travers sa voix que passent les mille et une nuances de ce récit aussi fascinant que macabre. C’est dans le relâchement presque imperceptible de sa tension qu’on peut reconnaître la revanche qu’elle prend en devenant vampire, prédatrice-aragne vengeresse. Avec une économie de moyens remarquable, Marik Renner nous fait voyager dans l’intériorité de cette femme.
Entre réel et fantastique
Le spectacle rend en permanence floue, incertaine, la frontière entre le réel et l’imaginaire. Quelque chose se cache derrière ces fragments que le spectateur finit par mettre bout à bout et qui laissent indécis, interrogatif. La fable qu’on reconstitue au fil du temps est-elle vraie ou n’est-elle que la production mentale d’une femme qui s’invente une histoire ? La fenêtre n’est-elle que la porte d’ivoire et de corne au-delà de laquelle se tient le réel ? Cheminons-nous dans son inconscient ? dans son fantasme ? Et l’homme qui l’accompagne, de la guitare et de la voix, dialoguant avec elle, apportant relances, enrichissements ou contradictions, qui est-il ? Un musicien de rue dévidant un certain blues de l’existence, ou le pendant masculin de la narratrice, ou encore son double, l’un des aspects de sa personnalité ? À l’imaginaire du spectateur est laissée la liberté de recréer sa propre histoire, d’apporter sa propre interprétation.
La métaphore du vampire
Un autre thème s’élabore au fil du récit à travers l’image du vampire, ici débarrassée de son folklore. Car le vampire, c’est celui qui prend possession de vous et vous détruit. Et l’on comprend peu à peu que ce raconte la comédienne, c’est l’histoire d’une emprise, la violence que l’être aimé exerce et qui est acceptée par celui qui aime, jusqu’à son propre anéantissement. Une vampirisation par l’autre qui a pour corollaire une disparition de soi, sa réduction à l’état de mort-vivant. Ce que cette femme raconte pourrait être le long chemin qu’elle prend pour redevenir elle-même. Une libération qui passe d’abord par le retournement contre les autres de ce qu’elle a vécu en les vampirisant à son tour avant de trouver son propre chemin vers la lumière, au risque de se brûler. Retrouver la couleur du jour après ce voyage au bout de la nuit. Dépasser ce qu’on vous a fait subir, ce qu’un héritage séculaire vous a gravé à l’intérieur pour enfin être soi-même. Mais dans les circonvolutions de la mémoire se cachent d’autres chemins, qui rejoignent le thème de la constitution de la personnalité et de la dépossession de soi. Fallait-il cependant les convoquer aussi, au risque de faire perdre le fil ? On regrettera peut-être que se greffent sur ce parcours des enrichissements qui nous égarent dans leur labyrinthe telles les figures tutélaires du père – trop ? – protecteur et de la mère castratrice. Le spectacle n’en conserve pas moins son intensité prenante et sa sombre beauté.
Une vampire au soleil
S Texte, mise en scène et musique Marien Tillet S Co-écriture Marik Renner S Avec Marik Renner & Marien Tillet S Scénographie et lumières Samuel Poncet S Son Pierre-Alain Vernette S Régie en alternance Laurent Le Gall, Tom Dekel S Production et diffusion Le Cri de l’Armoire S Coproductions & soutiens La Maison du Conte de Chevilly-Larue, Les Tréteaux de France, Le Théâtre Dunois, Le T.A.G. de Grigny, L’Amin Théâtre, Le Centre culturel de Gonesse, La Manekine de Pont Sainte Maxence, L’Espace Culturel de Chorges S Le Cri de l’armoire reçoit le conventionnement DRAC Île De France - Ministère de la Culture et l’Aide au développement artistique du Conseil Général du Val-de-Marne S Durée 1h15 S À partir de 13 ans
Jeudi 15 juin et vendredi 16 juin - 14h00. T.A.G. - 91350 Grigny
Du 7 au 24 juillet 2023 à 21h20 (sf 12 & 19/07) - La Manufacture Intra muros - Avignon