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Arts-chipels.fr

Le Grognement de la Voie lactée. Du rififi dans les rouages du futur.

© L'Argument

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Comment faire d’une vision apocalyptique du monde un exercice de style aussi dynamique et drôle que complètement déjanté ? Petit manuel du parfait non-sens plein de sens à l’usage des jeunes générations mais pas que.

Sur le fond de scène, un décor moderniste à la Vasarely. Des mires et des gammes de noirs tramé, sur le côté des néons. Rien ne distingue les uns des autres les jeunes gens, garçons et filles, pantalon noir et chemise immaculée, qui se lancent dans un numéro de music-hall endiablé au son d’une musique techno. Des numéros, comme au cirque, c’est justement cela qu’on nous propose, à ceci près que leurs protagonistes nous touchent de près. Car dans la spirale du futur qui nous est proposée, on trouvera aussi bien le dictateur de Corée du Nord Kim Jong-Un que l’ex-président de la plus grande « démocratie » du monde, Donald Trump, tout autant une Cassandre, revenue d’entre les morts pour ergoter sur l’état du monde, qu’un footballeur allemand ou une actrice, mannequin et chanteuse, sans compter, pour faire bonne mesure, l’enfant cancéreux auquel il ne reste que quelques jours à vivre… Un mélange détonnant dans une mise en scène qui ne l’est pas moins.

© Erik Damiano

© Erik Damiano

Un auteur germano-coréen et ses références

Y aurait-il une forme d’humour proprement coréenne ? On peut se poser la question. Il y a quelques années, le Festival d’Automne à Paris avait programmé un spectacle d’un jeune Coréen dialoguant avec son rice-cooker doué de parole robotique. On retrouve là la même cocasserie, une manière analogue d’évoquer un futur apocalyptique par le biais de l’absurde. Ici un extraterrestre au nom imprononçable pleure de toute l’affliction de ses seize yeux ce monde bizarre où tous vivent dans la merde et sous une atmosphère polluée tout en se mutilant à qui mieux mieux. On l’aura deviné, la planète dont il parle, c’est la Terre et elle est peuplée d’imbéciles. Le choix de Kim Jong-Un participe de ce même jardin personnel de l’auteur et du même humour ravageur. Il imagine ce tyran sanguinaire, accro aux réseaux sociaux, saisi d’une idée meilleure que les camps de travail et la bombe atomique : unifier les deux Corées ! Quant aux personnalités allemandes qu’il tire de son chapeau, ce n’est rien moins, pour Heidi Klum, que la personnalité médiatique qui ferait, selon l’éditeur de logiciels antivirus McAffee, courir le plus de risques lorsqu’on tape son nom sur un moteur de recherche, et pour Manuel Neuer, que le célébrissime gardien de but du Bayern Munich, connu de tous les foot addicts.

© Joachim Munoz

© Joachim Munoz

La scène comme terrain de jeu

Rien n’est vrai ou prétendu tel dans les propositions qui nous sont faites. Une girafe fumeuse fréquente une femme en colère qui s’est fixé pour objectif de sauver la démocratie. Le footballeur n’est pas celui qu’on croit et la femme mannequin, devenue obèse, entame avec l’enfant à qui il ne reste plus que quelques jours à vivre, un dialogue sur l’avenir de la planète que Cassandre, avec son esprit maniaco-dépressif, noircit, du fond de l’hôpital de jour qu’elle fréquente ou a fréquenté. Dans ce monde de sales gosses, alors qu’on nous promet que les bombes du futur seront issues du commerce équitable, le milliardaire Trump, à force de donner sa fortune, est sur la paille sur un air d’Avec le temps de Léo Ferré. Les personnages plaident l’amour et la paix en appuyant sur le bouton d’anéantissement du monde, la girafe joue les guides de voyage tandis que les espèces disparues, ici le dodo, se produisent en concert.

© Erik Damiano

© Erik Damiano

Le dynamitage des codes de la société

Tout ce qui forme notre société y passe. Les rubriques people et leurs contenus y compris en politique, le téléphone rouge, l’absurdité de de la bureaucratie, la politique, des fachos à la sociale démocratie « molle », les marchands d’art qui sont des marchands d’armes, les groupes de parole, les Google, autoplay, copypaste, vidéo et autre Wikipédia et les slogans publicitaires forment une farandole éminemment jouissive démolie à coups d’imparfaits du subjonctif et de noms imprononçables comme celui du volcan islandais qui dérégla la navigation aérienne en 2010, les absurdités en chapelet comme celle d’une équipe de ski alpin de Dubaï. Les opposants sont victimes d’« accidents » regrettables, les grands « baisent les petits, et les petits baisent les petits » sur des airs de Beau Danube bleu, de Nirvana et de K-pop menés par une équipe de comédiennes et de comédiens survoltés qui cavalent ventre à terre et se démènent en rythme, console électronique battante, avec un ensemble parfait. Dans ce jeu de massacre tout aussi féroce que joyeux qui dénonce en vrac les travers d’une société qui court à sa perte et révèle toute l’inanité du monde, l’auteur, qui s’est désormais incarné dans le corps d’une fillette de onze ans nous crie, comme un leitmotiv : « Ressaisissez-vous ! »

© Erik Damiano

© Erik Damiano

Le Grognement de la Voie lactée de Bonn Park. Traduction Laurent Muhleisen

S Mise en scène Paul Moulin, Maïa Sandoz S Avec Matthieu Carle, Jeanne Godard, Angie Mercier, Fabien Rasplus, Quentin Rivet, Paolo Sandoz, Christelle Simonin, Marie Razafindrakoto en alternance avec Mélissa Zehner S Assistanat à la mise en scène Clémence Barbier S Lumières Romane Metaireau S Création sonore et musicale Grégoire Leymarie, Angie Mercier S Costumes Murielle Senaux S Collaboration artistique Guillaume Moitessier S Régie générale David Ferré S La pièce Le Grognement de la voie lactée de Bonn Park dans la traduction de Laurent Muhleisen est représentée par L’Arche éditeur – agence théâtrale S Production Théâtre de L’Argument et ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie S Coproduction avec le Théâtre des Deux Rives – Charenton-le-Pont S Avec l’aide du ministère de la Culture, du conseil départemental du Val-de-Marne S Avec le soutien de la ville de Paris S Coréalisation avec le Théâtre de la Tempête S Le théâtre de l’Argument est conventionné par la DRAC Ile-de-France – ministère de la Culture S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et est soutenu par la ville de Paris S Durée 1h45

Du 3 au 23 juin 2023, du mardi au samedi 20 h 30, dimanche 16 h 30

Théâtre de la Tempête Cartoucherie – Route du Champ-de-Manoeuvre 75012 Paris

Rés. www.la-tempete.fr T 01 43 28 36 36

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