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Arts-chipels.fr

Petits contes de la solitude. Dans les contrées stériles d’un futur possible.

Petits contes de la solitude. Dans les contrées stériles d’un futur possible.

Ce spectacle bien rythmé nous projette dans un univers cauchemardesque et dystopique qui se fait l’écho des angoisses de l’avenir inscrites dans la société d’aujourd’hui.

Dans un futur non daté mais qui pourrait être plus proche qu’on ne l’attend, les hommes vivent sous la contrainte. Qu’il s’agisse d’une catastrophe – dont on ignore la nature – les enfermant dans un univers protégé, d’un univers sous l’emprise de la consommation et des réseaux sociaux, d’une société envahie par les outils technologiques ou complètement normalisée, où même la durée de vie est optimisée, l’humanité reste confrontée aux grandes questions de la condition humaine : l’amour, la mort, la famille et la société. Dans le monde sous bulle que mettent en scène ces quatre « contes », c’est le prix de l’« abri » qui est en question. Cinq panneaux en plexiglas qui se déplacent, se font parois réfléchissantes, se retournent, s’illuminent parfois et enserrent les comédiens. Barrière protectrice qui les isole du monde extérieur, ils constituent en même temps les murs de verre de la prison dans laquelle ils sont enfermés. De solitude il sera question, qu’on soit seul ou au milieu des autres.

© Julien Cheminade

© Julien Cheminade

Un anniversaire de fin de vie

On découvre d’abord Jérôme, un chapeau de cotillon sur la tête, qui se fait face à lui-même en sifflant « Happy Birthday ». Il a cinquante ans et l’heure est venue pour lui de mourir. C’est la manière qu’a trouvée la société dans laquelle il vit de résoudre les problèmes de retraite, de logement, de chômage. Faire disparaître les gens avant qu’ils ne deviennent un poids pour la masse des autres. Jérôme ne se révolte pas. C’est la règle. Pour fêter cette mort programmée, il a le droit d’inviter des amis pour fêter l’événement. Mais personne ne vient et il attend la « Brigade des pissenlits » chargée de la besogne…

Mourir de vivre

La solitude n’est pas moins grande pour Lilou. Influenceuse dans le Métavers, elle est suivie par des milliers de personnes. Sur sa carrière veillent sa mère et son petit ami. Ils l’aiment, c’est pour son bien qu’ils s’emploient à la formater, à la rendre plus attractive. Tous, elle compris, attendent impatiemment qu’elle atteigne le million de followers. Elle fait tout ce qu’il faut pour ses fans : avoir le sourire parfait, la pose attirante, essayer de coller à l’image qu’on attend d’elle. Un rêve dont le miroir lui renvoie la fallacieuse image. Prise au piège d’un jeu dont elle est la victime consentante, elle finit par étouffer. C’est alors que la machine se grippe…

© Julien Cheminade

© Julien Cheminade

De l’amour. Quel amour ?

Dans ce monde parfaitement aseptisé, si le sexe est autorisé, encouragé même, l’amour est interdit. La population absorbe sa ration de pilule de bonheur qui suffit à régler le problème. La situation est sous contrôle et la directrice se comporte en cheffe d’entreprise avisée. Elle a mis en place ce système et, pour prouver la validité de sa théorie, a choisi un couple « témoin » dont l’évolution est retransmise en direct pour la faire adopter par la population. Leur mémoire a été effacée et deux travailleurs ont été tirés au sort pour les accompagner. Mais l’expérience dérape, la désobéissance s’installe et fait tache d’huile, et les réactions de la population partent en vrille…

Une « amie » du 3e type

Dans ce nouveau monde, les déplacements de chacun ont été – écologiquement – limités aux « heures vertes » pour éviter de trop forts rejets de CO2. C’est dans ce contexte qu’une femme reçoit en cadeau d’anniversaire, en guise d’animal de compagnie – en moins polluant – une « amie idéale » : un humanoïde féminin, un robot destiné à la débarrasser de tous les tracas quotidiens. Doué d’anticipation, celui-ci s’insère intimement dans la vie de celle qu’il accompagne. Il-elle est relié.e aux comptes, sur les réseaux sociaux, de toute la famille, sait tout ce qui se passe et intervient pour éviter tout problème. Son attention est permanente, tout comme le caractère intrusif de ses interventions. Mais voici que les membres de la famille disparaissent un à un…

© Julien Cheminade

© Julien Cheminade

L’unité dans la diversité

Même si les histoires, traitées chaque fois différemment sur le plan visuel, mettent en scène des fragments de futurs possibles différents, elles correspondent toutes à la même vision apocalyptique d’un avenir de l’espèce humaine. Qu’elles s’attachent à une « normalisation » de la durée de la vie, aux effets néfastes et pervers de la mise en réseaux des individus – la jeune influenceuse est transformée en masque lumineux déshumanisé –, qu’elles proposent la vision d’une société qui se voile la face pour noyer sa solitude dans un bonheur illusoire ou interroge une humanité confrontée au développement d’intelligences artificielles de plus en plus performantes, ces sociétés qui tirent leur nature du monde contemporain font froid dans le dos. L’évocation d’un monde prévisionniste où la planification et les interdictions sont des règles absolues, où le hasard est évacué au profit d’une organisation liberticide, où l’absence d’envie et de manque règne pose la question du sens de la vie, mais aussi celle de la proximité réelle de ce meilleur des mondes qu’on nous propose. Sans se départir d’une drôlerie certaine et de l’amorce d’espoirs possibles, les comédiens, sans en faire trop, imposent l’image d’un paysage bien noir. Mais ils nous rappellent aussi qu’aujourd’hui encore, on peut être amoureux, vivre à l’air libre et errer au hasard et que cela vaut la peine de se battre pour…

© Julien Cheminade

© Julien Cheminade

Petits contes de la Solitude

Texte et mise en scène Julie Macqueron Distribution Julien Cheminade, Sarah Cotten, Victoire Cubié, Charles Dunnet, Héloïse Lacroix Lumières, décors Corto Trémorin Production la compagnie Luna Coréalisation Théâtre des Déchargeurs Avec le soutien de L'étoile du nord, et du festival Aux Alentours, de l'école Auvray-Nauroy et du festival les Dyonisades Création 2023

Du 02 au 25 avril. Dimanche, lundi et mardi, 21h

Théâtre des Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs, Paris 1er www.lesdechargeurs.fr

12 et 13 mai 2023 // Festival aux Alentours L'étoile du nord - Paris 18e

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