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Arts-chipels.fr

Perplexe. Bombardement à boulets rouges pour comédie policière, jeu dadaïste et théâtre de l’absurde.

Perplexe. Bombardement à boulets rouges pour comédie policière, jeu dadaïste et théâtre de l’absurde.

Marius von Mayenburg règle ses comptes avec la société de son époque qui est aussi la nôtre, sa culture et son histoire, dans un jeu de massacre réjouissant et déjanté mené à bride abattue. Un chaos créateur infiniment vivant.

Eva et Robert rentrent de vacances. Ils retrouvent leur appartement et, pour elle, ses plantes chéries que leurs amis ont arrosées. Elle se plaint de sa négligence à lui, des factures impayées laissées en plan, de l’électricité qu’elle voit coupée. Du courrier non ouvert, qui laisse en suspens la gestion du quotidien. Mais c’est leur faute, aussi, se défend-il, aux amis. Les amis, justement, débarquent. On échange des banalités – c’était comment, les vacances ? Mais où est le chat ? Et pourquoi y a-t-il- cette plante inconnue dans la cuisine ? Très vite la situation dérape. Qui est l’intrus de l’histoire ? Judith et Sebastian ne sont-ils pas chez eux ? Quand donc Eva et Robert se décideront-ils à lever le camp ? Alors, dans l’attente, si on buvait un cocktail ? Judith est une catastrophe ambulante. Elle brise tout ce qu’elle touche. Elle veut nettoyer la casse, repousse les ordures sous le canapé au grand dam d’Eva. La situation se déglingue de plus en plus, les rôles s’inversent, la carapace de bonne éducation se fissure, les personnages se lâchent. Remontent à la surface les travers enfouis, les opinions non exprimées, tout ce que le vernis social a occulté, dans un grand déballage où rien n’est jamais certain, où l’envers vaut l’endroit, où les conventions se désagrègent dans un chaos loufoque en même temps que tragique.

© DR

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Un théâtre de la comédie humaine qui flirte avec tous les genres

On se rapproche de la comédie policière avec un mystérieux paquet autour duquel les personnages tournent durant toute la pièce, avant, finalement, que son ouverture ne débouche sur l’improbable et le fantastique. On s’introduit sans aménité dans les méandres psychologiques tortueux de la vie conjugale et les récriminations mutuelles qui l’accompagnent. On emprunte – en les détournant – les voies de la comédie boulevardière qui fait ses choux gras des aventures extra-conjugales, même si elles prennent ici un tour particulier. On caresse en la raillant la « grande » Culture dont nous avons hérité. Nietzsche et Platon font la nique à Darwin qui le leur rend bien. Personne n’est épargné, le passé nazi de l’Allemagne encore moins. Dans ces personnages livrés à leurs médiocrités, à leurs contradictions, à leur dialogue impossible, il y a quelque chose des Monsieur et Madame Smith de la Cantatrice chauve, en plus sauvage, en plus cruel. Un non-sens féroce qui n’épargne rien ni personne. Marius von Mayenburg s’attaque avec fureur à son héritage et se pose en fils, indigne comme il se doit, du théâtre de l’absurde.

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Un théâtre qui raconte le théâtre

Dans le chassé-croisé permanent que propose la pièce, « Je » ne cesse d’être « l’Autre » et « l’Autre » n’est que le reflet de « Je ». Des reflets critiques où les rôles s’inversent. Chaque personnage varie au gré de l’interprétation des acteurs qui l’incarnent tour à tour. Les comédiens endossent toutes les défroques, celle d’un enfant de cinq ans, d’une jeune fille au pair ou de leurs parents, sans oublier les travestissements de pacotille dont s’affublent les personnages. Le théâtre est omniprésent. Dans la référence au « quatrième mur » – cette conception du théâtre qui érige une barrière invisible entre la scène et la salle – matérialisée face au public pour en dénoncer l’inanité, le caractère fallacieux. Dans la perplexité aussi – étymologiquement « enchevêtrement » – dans laquelle la pièce se construit, passant sans crier gare d’une situation à l’autre, d’une inversion à l’autre, sans pause ni indication d’un changement quelconque. À cette perplexité répond celle du spectateur. Le théâtre extrait des situations les plus banales et quotidiennes ce qu’elles ont de profondément perturbateur et perturbant. Il faut lâcher prise, ne plus rien maîtriser, se laisser emporter dans le maelström de cet embrouillamini ordonné qui nous parle de la vie et dont la cocasserie n’est que critique acerbe, et ce même si les comédiens en font trop et qu’à force de surjouer ils dépouillent le texte – qui résiste – d’une partie de sa force explosive. Et lorsqu’au bout du bout, la fête est finie, on démonte le décor. Tout ça n’était que du théâtre. La vie, quoi…

Perplexe de Marius von Mayenburg

S Mise en scène Mathilde Pous et Julien Donnot S Avec Alexandre Lucas-Becourt, Delphine Lefranc, Thomas Ailauhd et Marie Lenglet S Conception sonore Haldan de Vulpillière S Conception lumière Louis de Pasquale S Costumes Françoise Léger S Chorégraphie Suzanne Didier S Concept scénographie Loana Meunier S Construction Julien Donnot S Production Compagnie Théâtre du Revenant S Soutiens Les Tréteaux de France – Maison du Théâtre et de la Danse d’Epinay sur seine (MTD d’Épinay) – L’Aghja – L’aria – Cresco de Saint Mandé – Théâtre El Duende – Auditorium du Perreux sur Marne S Durée 1h15

Du 26 au 30 avril 2023, du mercredi au samedi à 19h, le dimanche à 15h

Lavoir Moderne Parisien – 35, rue Léon, 75018 Paris https://lavoirmoderneparisien.com/

 

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