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Arts-chipels.fr

La Foire de Madrid. Peinture d’un Siècle d’Or espagnol bien dans la veine iconoclaste de la Renaissance.

La Foire de Madrid. Peinture d’un Siècle d’Or espagnol bien dans la veine iconoclaste de la Renaissance.

On joue peu les œuvres de Lope de Vega en France. Pourtant s’y trouvent déjà des ressorts comiques et des situations qu’on retrouvera plus d’un demi-siècle plus tard, chez Molière et chez Marivaux. C’est lui rendre justice que de présenter cette œuvre pétillante et emplie d’insolence, qui fait la nique à l’image d’une Espagne sombre et confite en dévotions…

La Foire de Madrid attire une faune on ne peut plus bigarrée. Voleurs à la tire, hidalgos désargentés, jeunes gens en recherche de galante compagnie, maris jaloux en mal d’aventures extra-conjugales, serviteurs messagers s’activant au service de leurs maîtres, rencontres sous le masque ou à l’abri de la voilette, femmes testant la fidélité de leurs époux en se travestissant… tout un monde d’intrigues grouille sous la surface gaie et avinée de la feria. On pourrait se croire dans les prolégomènes du théâtre de boulevard qui fera florès quelques siècles plus tard n’était le ton imprimé par l’auteur à ces chassés-croisés amoureux. Car le jeune Lope de Vega – il a alors vingt-cinq ans – ne s’embarrasse pas de faux-semblants ni de bienséance. À l’image de la vie dissolue qu’il mène et poursuivra en dépit des admonestations diverses et des exils qui ponctuent sa carrière, il y appelle un chat un chat. L’argent et l’intérêt gouvernent les relations entre hommes et femmes et le tout est montré sans fard ni fioriture dans des pièces où la bienséance n’a pas sa part et où le carcan religieux se vit seulement en façade.

© Ben Dumas

© Ben Dumas

Maris dissolus, femmes sacrifiées

Les grandes perdantes de ce jeu social où les maris disposent d’une liberté absolue tandis que leurs épouses n’ont pour droit que de se lamenter, ce sont les femmes, qui prendront dans la pièce une éclatante revanche. Si le mari de l’une lui revient amoureux, après qu’il l’eut épousée seulement parce qu’elle était riche, et situe ainsi leur relation dans le droit fil d’une fable morale où triomphent les valeurs du mariage et de l’amour des époux, il n’en va pas de même de l’autre qui préférera finalement un jeune hidalgo sans le sou mais plein de belles paroles à un mari méfiant en même temps qu’infidèle. Les quiproquos s’enchaînent. L’un des maris courtise sa femme, qu’il n’a pas reconnue sous sa voilette. L’autre se lie avec l’hidalgo et lui cache son identité. Mais il sera victime de son désir de vengeance car le père de la jeune femme, au lieu de sacrifier sa fille infidèle, préférera se défaire d’un gendre encombrant.

© Pierrick Daul

© Pierrick Daul

Une atmosphère de roman picaresque

Bien que le nombre de personnages de la pièce ait été réduit par l’adaptation aux principaux protagonistes de l’histoire, on sent grouiller, derrière l’intrigue, une série de personnages qui sont partie intégrante du roman picaresque que développera en particulier Francisco de Quevedo, ami de Lope de Vega, dans des pages où le burlesque le dispute à l’ironie et à la satire : individus de peu de foi, vivant d’expédients, plus préoccupés de la « bonne » affaire que de leur honneur, personnages interlopes errant en arrière-plan, prêts à tout pour un peu de monnaie, buveurs invétérés peuplant les tavernes jusque potron-minet, jeunes gens désabusés. Cette vision d’une humanité où principes moraux et réalité dysfonctionnent en permanence, Lope de Vega la pointe du doigt avec une joie maligne et communicative. Que des maris infidèles se trouvent cocufiés à leur tour l’enchante, et il campe une société où tout va de travers : domestiques pleutres et paresseux, tire-laine à l’affût dans la foule, intrigues sans fin facilitées par la foule qui se presse et se mélange durant la feria. Quant au happy end, il ne doit rien à la morale. La bonne humeur et l’humour qui traversent la pièce s’accompagnent de répliques brillantes et de notations poétiques qui donnent à cette comédie assez convenue une dimension littéraire qu’on ne saurait négliger. « L’aube rit quand je pleure » : Lope de Vega a le sens de la formule…

© Pierrick Daul

© Pierrick Daul

Une musique aux accents espagnols

Une atmosphère de jeunesse facétieuse et un entrain certain se dégagent de la mise en scène de Ronan Rivière qui a également adapté la pièce originale. Dans un décor de portes et d’encoignures où se dissimuler, de dames à leur fenêtre attendant l’aubade, ne manque que la guitare… Mais elle est remplacée sur scène, avec beaucoup de talent, par un pianiste, Olivier Mazal, qui introduit la touche espagnole en nous projetant dans une Espagne plus tardive, celle de Manuel de Falla qui, de Danse du feu en Sérénade andalouse, et avec des morceaux – El paño Moruno, Polo – chantés par la jeune première, personnage incontournable de la comédie de l’époque, évoque la musique populaire andalouse. Au total, la fraîcheur de l’ensemble et le caractère brillant du texte emportent l’adhésion. Si l’on y ajoute que Molière a vraisemblablement puisé son inspiration de l’École des femmes, on a là matière à un divertissement plein d’intérêt.

© Pierrick Daul

© Pierrick Daul

La Foire de Madrid d’après Félix Lope de Vega

S Adaptation et mise en scène Ronan Rivière S Avec l’aide à la traduction d’Agathe Peyraud et de Stéphane Leroy S Scénographie Antoine Milian S Costumes Corinne Rossi S Lumière Marc Augustin-Viguier S Avec (par ordre d’ancienneté dans la troupe) Ronan Rivière (LEANDRO, gentilhomme de Madrid), Jérôme Rodriguez (ADRIÁN, ami de Leandro), Claudio Michaël Giorno-Cohen (PATRICIO, mari de Violante,  Laura Chetrit (VIOLANTE, dame de qualité, épouse de Patricio), Amélie Vignaux (EUFRASIA, amie de Violante et femme de Claudio), Hassan Tess (JUAN FRANCISCO, écuyer d’Eufrasia, BELARDO, père de Violante, LE VOLEUR), Luc Rodier (CLAUDIO, mari d’Eufrasia et ami de Leandro et Adrián) S Et au piano Olivier Mazal S Production Collectif Voix des Plumes S Avec le soutien de l’ADAMI (société des Artistes-Interprètes), de Versailles Grand Parc, de l’Espace Sorano S Une création Mois Molière S Coréalisation Théâtre de l’Épée de Bois.

Du 8 mars au 30 avril 2023, mar.-sam.à 19h, dim. 16h

Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris www.lucernaire.fr

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