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Arts-chipels.fr

La Maladie de la famille M. Dans les souterrains périphériques d’un monde en souffrance.

© Ema Martins

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Dans cette fable de la vie triste pleine de drôlerie, la famille M. est comme une métaphore du monde observée à la loupe par un médecin-narrateur avatar de l’auteur.

Un espace meublé de bric et de broc. Un canapé qui a vécu côté jardin, des lits superposés côté cour, une table à allonges recouverte de carrelage au centre et une télévision qui trône au milieu. Un univers du dépareillé refermé sur lui-même par des stores. Le huis clos de la famille M. qui est aussi, par les vertus de la lumière, le cabinet du médecin sans nom, censé « soigner » – mais de quoi au juste ? – les « malades » de la famille qu’il « suit » – et, au-delà, « tous », peut-être même la société entière. Justement il est venu nous parler de ses « patients », ceux qui patientent sur le seuil d’une vie qu’ils ne goûtent pas. La famille « M. », pour « Merdique », peut-être, à l’image de leur vie ? Et d’ailleurs, les soigne-t-il vraiment ? Et lui-même, est-il à sa place de spécialiste des maladies tropicales ? Il les écoute et les observe, spectateur tout au long de la pièce errant autour des personnages, parfois convié à participer à leur vie, fait du même bois qu’eux, tissé dans la même étoffe.

© Ema Martins

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Une galerie de personnages de notre temps

Fausto Paravidino implante sa « famille » quelque part dans la banlieue d’une grande ville, en bordure d’une grande route. Un appartement où vivent à l’étroit un Père et ses trois enfants, un garçon et deux filles. Le client du médecin, c’est le Père, Luigi, atteint de dégénérescence sénile. Incontinent, avec une mémoire à trous, mais qui continue de régner en despote sur la maisonnée. La mère est morte – on apprendra au fil du spectacle dans quelles circonstances – et la fille aînée, Marta, qui a mis un mouchoir sur sa propre vie, veille sur son père et régente toute la famille. Les deux plus jeunes sont à l’image de cette famille dysfonctionnelle. Tandis que Gianni, le benjamin, toujours armé, dans la mise en scène, de son portable avec lequel il filme la famille en direct, passe des nuits plus qu’arrosées à l’extérieur, Maria se réfugie dans sa chambre.

© Ema Martins

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Vaudeville chez les pauvres

Reprenant les codes de la comédie italienne, les filles rêvent, évidemment, d’amour. Si le Médecin en pince en secret pour Marta, trop prise par sa famille pour envisager autre chose, Maria a sauté le pas. Elle suit comme son ombre le jeune Fulvio, plus préoccupé de foot, de bières et de sorties avec les copains que de cette fille qui lui colle aux basques et aimerait, dans le plus pur romantisme, qu’on lui offre des fleurs et qu’on lui fasse la conversation. Mais voilà que Fabrizio, le meilleur ami de Fulvio, tombe amoureux de Maria et que celle-ci ne le décourage pas, sans pour autant rompre avec Fulvio. De méprises en quiproquos, voilà les deux prétendants invités dans la famille en tant que futurs gendres…

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Entre comédie et drame grinçant

Antihéros, tous ces personnages trimballent leur part d’égoïsme, de lâcheté, d’indécision, de violence, d’irresponsabilité. Ils sont à eux tous un condensé des misères humaines et des velléités jamais réalisées qui se muent en solitudes et en replis sur soi. Leurs contes pour s’endormir passent par le Roi des Aunes de Goethe, et son enfant emporté par la Mort malgré le galop désespéré du père pour tenter de fuir à travers la nuit et le vent. Malades sociaux, limités, maladroits, agressifs, colériques, contradictoires, ils sont grotesques et émouvants dans le même temps. Même si la mise en scène ne résiste pas à accentuer encore davantage la schématisation des personnages en leur faisant perdre de leur épaisseur, le spectacle chemine sur la frange étroite entre la comédie et le drame, suscitant le rire en même temps que l’effarement, sans jamais sombrer dans le misérabilisme. Il n’en dresse pas moins le tableau très noir d’une société où seuls la fuite et l’exil offrent une issue, insatisfaisante mais néanmoins présente.

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Une pièce contestataire

La Maladie de la famille M. est la première pièce de Fausto Paravidino, un auteur italien très engagé dans son pays dans la décennie précédente contre la privatisation des théâtres et contre les coupes budgétaires pratiquées dans le domaine culturel. Occupant « sauvage » pendant trois ans du Teatro Valle, l’un des plus anciens et des plus beaux théâtres de Rome, au sein d’un collectif, il en fit, avec les autres artistes rassemblés, un espace d’expérimentation et de questionnement du monde contemporain à travers le théâtre, la danse, la musique, le cinéma et les arts visuels. La Maladie de la famille M., avec ses références très italiennes à la structure familiale ou aux genres populaires, avec ses ruptures de rythme dans la construction dramatique et malgré son final bizarrement ficelé, participe de cet esprit, respire cet air-là. Celui d’une contestation ancrée dans la réalité qui parle directement au public en empruntant des chemins appartenant à la culture populaire.

© Ema Martins

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La Maladie de la Famille M. de Fausto Paravidino (L’Arche éditeur), adapté par Caroline Michel
S Mise en scène Marie Benati S Avec Léna Allibert (Maria), Gaspard Baumhauer (le Médecin), Marie Benati (Marta) en alternance avec Bérénice Olivares, Daniel Berlioux (Luigi), en alternance avec François Clavier, Alex Dey (Fulvio), en alternance avec Yoachim Fournier-Benzaquen, Taddéo Ravassard (Fabrizzio) et Guillaume Villiers-Moriamé (Gianni) S Scénographie Pierre Mengelle et Édouard Dossetto S Création lumière Alex Dey et Anaïs Ansart-Grosjean S Création sonore Nicolas Laurençot, Yvan Lebossé et Louis Jeffroy S Production Nuit orange S Durée 1h45

Du 23 avril au 29 mai 2023, le dimanche à 19h, le lundi à 21h

Studio Hébertot – 78 bis, boulevard des Batignolles, 75008 Paris

https://studiohebertot.com 01 42 93 13 04

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