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Arts-chipels.fr

Kaboul, le 15 août 2021. La bascule d’une existence.

© DR

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Iels sont artistes, journalistes, militant.e.s. Menacés lors de la prise de Kaboul par les talibans, ils ont été évacués d’urgence. Ils sont réunis autour d’un projet artistique, à l’initiative de structures culturelles du territoire normand. Une forme de résistance pour dire une culture et la déchirure de l’exil.

Il est dans la vie de tous des moments inoubliables, mais tous ne sont pas dramatiques comme ils le furent et le sont encore pour les onze artistes qui ont dû fuir l’Afghanistan à l’entrée des talibans dans Kaboul le 15 août 2021 et qui ont été accueillis en territoire normand. Un jour noir qui mit fin à vingt années d’espoir, en particulier pour les femmes afghanes, effacées du paysage, soumises à nouveau à la dictature masculine et privées d’éducation. Accueilli.e.s dans un pays dont beaucoup ne parlaient pas la langue, il leur a fallu surmonter le choc d’un départ précipité, en laissant leurs familles sur place, en danger, et trouver les moyens de se reconstruire. Les CDN, les Scènes nationales et les théâtres de Rouen, Caen, Vire, Évreux, Le Havre, Tours leur ont offert, au travers de résidences d’artistes, non seulement la possibilité de se réunir, mais aussi de se rassembler autour d’un projet commun : créer un spectacle composé de leurs identités artistiques multiples et rendre témoignage dans le même temps de ce qu’ils ont vécu, enduré, et de ce que signifie l’exil pour chacun d’eux.

Le récit de leur fuite

Il y a des femmes, évidemment, mais des hommes aussi. Partis parce que privés de parole, menacés. Partis parce que ce pays qu’ils célèbrent en chantant Ma patrie est celui de la coercition et de l’absence de liberté. Ils racontent l’odyssée de leur fuite. La queue de trois kilomètres sur sept mètres de large des candidats à l’exil qui se pressent à l’entrée de la base américaine, sésame pour atteindre l’aéroport. L’attente, dans la chaleur qui provoque des malaises, dans la puanteur insupportable et tenace des ordures. Les familles entières rassemblées là dont seuls quelques membres seront admis à l’immigration. Ils expriment la douleur engendrée par ce choix et le double sentiment de trahison, envers ceux qu’on laisse sur place et envers un pays qu’ils fuient au lieu de combattre. Comme une trahison, même si résister n’était pas possible. En plus de l’exil, ils portent en eux cette double culpabilité.

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Des vies d’intellectuels et d’artistes

Sur le devant de la scène, en adresse directe au public, ils viennent témoigner. De ce qu’ils faisaient, de ce qu’ils aimaient, qu’ils reconstituent devant nous avec les moyens du bord, avec leur parole. Ils citent Victor Hugo et la pauvreté qui pousse à voler un pain. Ils chantent l’amour, entonnent en chœur une version afghane de la chanson napolitaine O, sole mio. Ils disent l’espoir qu’ils avaient d’un monde afghan nouveau, en 2001, et le retour d’un premier exil pour contribuer à sa naissance, mais aussi le sentiment de revenir en arrière et de devoir, un jour, recommencer. Ils évoquent ce qui appartient désormais pour eux au passé. On passe de scènes de théâtre radiophonique avec, pour camper le décor, quelques photographies de campagne, aux chants qui les rassemblent où à des danses traditionnelles qui font surgir tout à coup des effluves extrême-orientaux de torsions des poignets ou de décrochements latéraux du cou. Et sous les touches appliquées au pinceau sur le papier, filmées par une caméra à main, émerge une vie de peintre qui vient d'un pays où les couleurs se sont suicidées.

La tragédie des femmes

Qu’elles portent encore la robe noire et le foulard ou se présentent en pantalon à visage découvert et maquillées, elles disent l’intolérable retour en arrière, les diplômes qu’elles ont acquis et qu’on voudrait bien leur refuser. Elles racontent la pression permanente à laquelle elles ont été soumises, les réflexions agressives dont elles faisaient l’objet, la peur, parfois, de sortir, le refus de la néantisation à laquelle elles sont confrontées. Elles disent leur héritage de la douleur, la dévastation de soi qu’elle produit, mais aussi leur volonté d’affirmer « ma liberté, mon choix, mon droit ».

Retrouver l’accueil et le partage

Ensemble, ils font revivre devant nous et pour nous cette tradition d’échange et de partage qui fait partie de leur culture. Elle les rassemble autour d’un plateau bas sous lequel on glisse des braises pour conjurer les rigueurs de l’hiver à Kaboul et qu’on recouvre d’une couette sous laquelle chacun glisse ses pieds. Et même si le thé vert a pris un goût d’exil, qu’il est devenu noir et amer, un court moment, ils retrouvent la cérémonie du gâteau rituel et des fruits secs – qu’ils partagent ensuite avec les spectateurs – à la veillée, les chansons au son d’un instrument proche de l’harmonium indien ou les poèmes en persan. Comme pour remonter plus loin dans le temps et dans cet héritage mixte qui les caractérise.

Les mots sonnent juste, l’émotion est au bord des lèvres, les larmes au coin des yeux. Car même s’ils ont transformé en spectacle ce qui vient de la vie même, c’est la vie qui transparaît et transpire à travers cette mise en scène d’eux-mêmes : une part de chair à vif, qui saigne et saignera sans doute encore longtemps.

Kaboul le 15 août 2021

S Conception Lucie Berelowitsch, Marcial Di Fonzo Bo et Brice Berthoud S Dramaturgie et traduction Saeed Mirzaei S Avec Shogofa Arwin, Maryam Yousefi, Ali Mohammadi Kiyan, Soghra Setayesh, Raha Sepehr, Leena Maqsoodi, Mamnoon Maqsoodi, Saeed Mirzaei, Shawali Nawabi, Farzana Nawabi, Zahra Gulsom et Reza Ahoura S Production Coproducteurs et membres de la coopération : CDN de Normandie Rouen, Comédie de Caen – CDN de Normandie, Le Préau – CDN de Normandie-Vire, Le Tangram – Scène nationale Evreux-Louviers, L’Olympia – CDN de Tours, Le Volcan – Scène nationale du Havre S Avec le soutien du Ministère de la Culture DRAC Normandie, de la Région Normandie, de l’ODIA Normandie, de la Ville de Rouen, du Ministère de la Culture/DRAC Centre, de la Région Centre S Durée 1h30 S À partir de 14 ans

1er avril 2023 - Théâtre du Soleil 2 Rte du Champ de Manœuvre, 75012 Paris
6 avril 2023 Tangram - Scène nationale Evreux-Louviers

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