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Arts-chipels.fr

Le Verre d’eau. Francis Ponge et la matérialité du langage.

Le Verre d’eau. Francis Ponge et la matérialité du langage.

Ponge fut un prestidigitateur tirant de son sac à malices des « objeux » qui incarnent le théâtre des mots. Il revenait en retour à des gens de théâtre de mettre en scène les mots du poète pour en rendre l’insolence goguenarde et restituer le pouvoir subversif de ce muet à l’oral dont l’écriture est à soi seule un discours. Le Verre d’eau nous entraîne dans le glougloutement jouissif de sa clownerie langagière.

Ponge a toujours eu la « rage de l’expression ». Pas pour parler politique, encore que ce rejeton quelque peu inique d’une famille bourgeoise protestante plutôt traditionnelle, un temps dissipé et passé par le dandysme, n’ait pas été indifférent aux turpitudes du monde et aux espoirs d’un monde meilleur, qu’il ait été mêlé aux mouvements qui prônaient pour l’homme un avenir plus radieux et ait adhéré successivement aux Partis socialiste puis communiste avant de s’en détacher après la Seconde Guerre mondiale (en 1946), sans oublier, de surcroît, qu'il ait été résistant durant la guerre. Mais pour entrer en révolte contre un certain parler ordinaire, pour jeter à tout vent la clameur du poète, créateur de sens, polisseur d’images inédites, inventeur facétieux d’un langage nouveau.

Le Verre d’eau. Francis Ponge et la matérialité du langage.

Des objets aux objeux

Ce renouveau, le poète ne le puise pas dans la sentimentalité romantique des mots ou dans la magie des atmosphères, mais dans la « définition-description » des objets qui l’environnent et peuplent le quotidien. Au lieu de s’engouffrer dans une exploration analogue au « Ceci n’est pas une pipe » de Magritte, qui dépossède l’objet de son statut, c’est de l’intérieur même de l’objet et de la manière de le nommer qu’il fait émerger la vitalité intense dans laquelle réside pour lui la littérature. Le cageot, la cigarette, le galet ou le savon lui fourniront des terrains d’exploration inédits, contaminant leur environnement immédiat dans une prolifération littéraire sans début ni fin. La forêt conduira aussi bien à l’arbre, aux branches et aux feuilles qu’aux buissons et aux touffes, les branches engendreront le vent et les feuilles mortes l’automne dans un tourbillon interminable. Chez Ponge, les qualités physiques de l’objet sont indissociables de la manière de les nommer et des sons qu’engendrent leurs noms, tout autant que le retour vers leur étymologie ou les rapprochements nés de leur mise en bouche qui font dire au poète que, « à mi-chemin de la cage au cachot, la langue française a cageot » sont régénérants pour le langage. Calembours, allitérations, analogies, associations d’idées lui offriront autant de modes d’explorations d’une langue qui fouille à l’intérieur même des mots, au contraire des recherches surréalistes où les jeux de mots et écritures automatiques ont pour objet de faire émerger les différentes facettes du Moi.

© DR

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Un clown avec son attirail d’objeux

C’est sur le mode clownesque que Cyril Bothorel s’empare de la scène des mots. Un clown sans nez rouge, sans maquillage outrancier ni tenue bariolée, un personnage à la « Frères Jacques » dans son justaucorps noir, qui n’a pour artifices que ses mimiques et la manière dont il fait vivre les épithètes, qui ajoute aux objeux créés par le langage la dimension du jeu théâtral. Et le comédien sait y faire. Il distille les silences, prend le public à partie, se regarde les ongles, tortille du poing, adopte la position du crucifié pour jouer les branches d’arbre, affirme avec véhémence ce qui tient du n’importe quoi et du mutisme des choses. Il danse d’un pied sur l’autre, hésite, témoigne d’une hilarité communicative, s’amuse à pasticher César, cite Vigny – « Tout homme a vu le mur qui borne son esprit » – en se plaçant dos au public, face à la paroi qui ferme le fond de scène, substituant au sens figuré le sens littéral. Il nous entraîne, plein de malicieuse gourmandise, vers des contrées où le sens ne cesse de dévier, où le non-sens prend sens, matière et volume, et où les mots s’incarnent. Et si le titre promet un verre d’eau, verre d’eau il y aura, mais pas nécessairement celui qu’on attendait. Alors, sans rire bien que le rire soit au rendez-vous, vous en prendrez bien une petite gorgée !...

Le Verre d’eau, un spectacle burlesque. Textes de Francis Ponge d’après Méthodes, Le Parti pris des choses et Nouveau Nouveau recueil, édition Jean Thibaudeau, de Francis Ponge (© Editions Gallimard)

M Avec Cyril Bothorel M Mise en scène Yann-Joël Collin M Lumières Fred Plou

Du 20 mars au 24 avril. Tous les lundis à 19h

Théâtre La Reine Blanche – 2bis, Passage Ruelle, 75018 Paris

Rés. 01 40 05 06 96 - reservation@scenesblanches.com

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